Page:E. Browning - Les Sonnets du portugais (trad. Morel).djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

purement spirituelle, où toute la vie semblait concentrée dans le pâle visage que cachaient en partie les boucles brunes d’une longue chevelure, et qu’éclairaient deux grands yeux gris limpides, caressants et doucement mélancoliques. Lui, remuant, agile et vigoureux, petit, mais trapu et large d’épaules, bruyant et cordial, aimable et bienveillant, avec de soudaines explosions quand quelque chose soulevait son indignation. Tel était le nouvel ami, aux yeux noirs, au teint brun (à ce point que l’on pouvait croire à une origine italienne ou juive), qui allait transformer si étrangement la vie monotone, sans joie et sans espérance de Miss Barrett.

Elle avait trois ans de plus que lui ; elle paraissait et se croyait incurablement invalide. Browning résolut de se faire aimer, de l’épouser et de la guérir. Ils s’écrivirent, après cette première entrevue, très souvent. Les prétextes étaient des questions de littérature ; l’objet réel était l’ardente passion qui les attirait l’un vers l’autre. Il lui offrit bientôt de consacrer sa vie à la soigner et à la rendre heureuse. Elle lui oppose un refus très ferme d’abord, et qui peu à peu faiblit devant l’énergique volonté du poète. Le médecin recommandait instamment qu’Elizabeth passât l’hiver en Italie ; M. Barrett n’admettait pas l’idée d’une séparation. La jeune femme était persuadée qu’elle ne survivrait pas à un autre hiver de Londres.— Pourquoi alors songer à un mariage.—Mais si vous ne mourez pas, disait Browning ?—Oh ! dans ce cas... au printemps... — C’était une capitulation. Ils se fiancèrent en novembre. Dès lors il vint trois fois par quinzaine la voir et lui porter des fleurs. On cachait ces entrevues à M. Barrett. L’affection jalousement égoïste de ce père n’admettait pas que ses enfants pussent jamais le quitter ni se marier. Un an se passa ainsi, et un nouvel hiver approchait. Robert, admirable