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L’AMITIÉ D’UN GRAND HOMME
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romancier et au musicien et ils promettent de revenir au cas où l’on permettrait aux salons rivaux de fusionner par un mariage : le nôtre…

— C’est magnifique !

— Ne perdons pas de temps et passons à l’exécution. Je vous écoute.

— Dame ! Vous me prenez un peu de court.

— Pauvre Lucien ! Moi, j’ai travaillé. J’ai déniché sur les quais un petit ouvrage en vers de Fernand Bigalle, un péché de jeunesse qu’il doit adorer, car tout poète a un penchant pour la prose qu’il a pu commettre et vice versa. Ce petit livre en alexandrins faiblards m’a bien ennuyé, mais quelque chose me disait qu’il nous tirerait d’embarras et je l’ai lu jusqu’au bout. Cela s’appelle les Corybantes. C’est un opéra-ballet, en somme, sans la musique… Vous me voyez venir…

— ün peu… mais faites comme si je ne voyais pas…

— Cette musique, il faut que ce soit Lanourant qui s’en charge. Faisons-les collaborer. Je vous ai apporté le bouquin : le voici. Savez-vous ce qu’étaient les Corybantes ?

— Vaguement.

— Les Corybantes criaient et dansaient beaucoup.

— Voilà l’opéra tout fait !

— Soyez sérieux. Je continue : ils furent chargés d’élever Jupiter pour empêcher, par le bruit de leurs danses, que les cris de cet enfant ne parvinssent jusqu’aux oreilles de Saturne, qui l'aurait dévoré…

— Savoir si Bigalle ne partage pas l’avis de ce poète qui écrivait : « Défense de déposer de la musique le long de ces vers. »

— Il sera, au contraire, très flatté que l’on songe encore à ce vieux livre, oublié de tous depuis quarante-trois ans. Allez le trouver ; dites-lui : « Lanourant meurt d’envie d’écrire un opéra sur vos Corybantes. » Je dirai à Lanourant : « Bigalle vous fait grise mine, parce que vous ne lui avez jamais offert de tirer une partition d’une de ses œuvres. Or, je sais qu’il serait fort heureux si vous lui offriez de mettre ses Corybantes en musique. Mais, vous pensez bien qu’il est trop vaniteux pour vous faire la proposition. Voulez-vous qu’elle émane d’un tiers, de M. Jeansonnet, par exemple ? »

— Ah ! Suzanne, mais c’est génial tout bonnement ! Et dire que vous pourriez si bien vous contenter d’être jolie !

— Trêve de fadeurs ! Votre future femme vous inspire-t-elle confiance ?

— Je lui remettrai sur un plateau d’or les clefs de notre maison et celle de