Page:Duvernois - L'Amitié d'un grand homme, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
L’AMITIÉ D’UN GRAND HOMME
289

— Vous plairait-il de faire une partie de dames ?

— Non, merci. Il y a toujours une salle d’armes, ici ?

— Oui ; mais, comme on ne trouvait plus d’amateurs, on y joue au bridge. Votre ancien associé, Carlingue, vient d’organiser une partie avec Tholm, Simbleau, Grémial et Emeu.

Tel un désespéré, encore indécis et qui envoie au commissaire de police une lettre pour lui annoncer qu’il a mis fin à ses jours, M, Gélif jugea le moment venu de couper les ponts derrière lui et de s’interdire toute retraite.

— Je ne suis pas fâché que Carlingue soit ici, balbutia-t-il.

— C’est lui que vous cherchiez ?

— Oui.

— Vous êtes réconciliés ?

— D’une drôle de façon. Je le cherche pour le gifler.

— Non !

— Si.

— Mais, dites donc, c’est grave, ça…

— Sans doute.

— Attendez cinq minutes pour qu’il y ait beaucoup de monde.

Ainsi parla M. Touquard, et il disparut pour répandre la bonne nouvelle « Gélif va gifler Carlingue, dépêchez-vous ; ne ratez pas ça… »

Bientôt, il n’y eut plus que le principal intéressé pour ignorer ce qui allait se passer. Le pauvre homme jouait au bridge le plus innocemment du monde. Et même, il gagnait.

— Vous êtes sortant, lui dit quelqu’un.

Il se leva, constata avec surprise que la salle s’était remplie et remarqua, avec bonne humeur : « Eh ! mais, on fait le maximum, ici ! » Les assistants s’écartèrent sur son passage et, au bout de la haie qu’ils formaient, M. Carlingue aperçut, énorme, imposant, solennel et de noir vêtu, son ancien associé, qui lui barrait le passage :

— Quoi ? Qu’y a-t-il ? bégaya M. Carlingue, en s’abritant derrière une table.

M. Gélif calcula qu’il ne pourrait l’atteindre qu’en lui lançant le gant à distance. Il se méfia de son adresse.

— Il y a, monsieur, prononça-t-il, que j’ai un mot à vous dire, en particulier.

— Je n’ai pas beaucoup de temps.

— Vous le prendrez. Suivez-moi.

Une rumeur de désappointement s’ensuivit. M. Gélif poussa la porte d’un cabinet de toilette, qui servait de salle de douche au temps où les membres du cercle s’adonnaient à l’escrime. Il laissa passer M. Carlingue et ferma la porte soigneusement, en expliquant :

— Inutile de nous donner en spectacle.

— Quel spectacle ?

— Le spectacle d’un monsieur qui en gifle un autre.

— Vous avez donc l’intention de me gifler ?

— Oui, monsieur.

— Au secours !

— Taisez-vous ! Vous êtes ridicule.

— C’est un guet-apens !

— Mesurez vos paroles.

— Et vous, laissez-moi m’en aller.

— Non, tu entends, Adolphe. Veux-tu venir ici de bonne volonté, que je te gifle ?

15e année, 2e semestre, I. — 7