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JE SAIS TOUT

— Mon Dieu ! flûta Mme Carlingue, nous ne détestons pas lire les livres et, par exemple, ici, nous nous sommes abonnés tout de suite à un cabinet de lecture. Mais, entre nous, ces écrivains ont une si mauvaise réputation, que je ne sais s’il ne vaut pas mieux les admirer à distance.

— En effet, approuva M. Carlingue.

— Le mien est un mouton ! déclara Sylvie. Il ne fait le malin que chez ceux qui veulent l’attirer à tout prix. Il y a, par exemple, des nommés Gélif…

— Nous les connaissons, s’écria Mme Carlingue. Quel nom jetez-vous là, ma bonne demoiselle ! M. Gélif est l’ancien associé de mon mari. L’association du loup et de la colombe. Mon pauvre Adolphe était la colombe.

— Tu veux dire le pigeon, rectifia M. Carlingue. Sylvie se tourna vers Mme Jeansonnet :

— Les Gélif ont envoyé à Fernand Bigalle un émissaire qui n’est pas inconnu de vous, madame, puisqu’il n’est autre que M. Cyprien Jeansonnet. Par surprise, j’ai laissé le maître aller une fois chez ces gens, mais je vous promets que cela ne lui arrivera plus.

— Mon mari, déclara Mme Jeansonnet, n’a plus qu’eux comme amis. Ils sont au courant de mon intimité avec M. et Mme Carlingue et ils croient beaucoup m’ennuyer en organisant un salon rival. Or, si je voulais avoir les quarante académiciens chez moi, rien ne me serait plus facile. Je suis vieux jeu : j’ai la cohue en horreur. Et puis, j’estime qu’il faut rester entre soi. La seule façon d’avoir un salon, c’est d’entrebâiller les portes, de les entrebâiller seulement et de ne pas se jeter au cou de n’importe qui. Et puis — retenez bien ceci Mathilde — il ne faut qu’une personne de chaque spécialité. Si vous recevez Habassis le fabricant de pianos, gardez-vous d’inviter Polizeau, son plus dangereux concurrent. Moi, comme romancier, j’ai Tintenague ; c’est un romancier difficile à comprendre ; il me suffit parce qu’il est original ; du moment que je ne veux qu’un romancier, j’entends qu’il ait un talent unique et qu’il ne soit pas le reflet