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JE SAIS TOUT

— Insistez beaucoup ; sonnez, sonnez pour les réveiller. C’est une communication urgente… Ah ! voilà…

Elle reprit d’une voix suave :

— C’est à Mme Gélif que j’ai l’honneur de parler ? Ici, la maison Leniotte et Brevet. Je viens chercher des compliments, madame… Vous voyez que tout a marché à ravir, bien que nous ayions été prévenus un peu tard. Mon maître d’hôtel, qui revient de chez vous, me dit que tous les convives ont été ravis et n’ont pas tari de compliments, surtout le général, l’amiral et M. Fernand Bigalle, de l’Académie française. J’espère que vous voudrez bien une autre fois nous réserver la faveur de vos ordres, étant donné ce succès… Bonsoir, madame… Comment ! Je vous ai dérangée !… Mille pardons… Je n’aurais pas cru que vous étiez déjà couchée…


V. — JEUNESSE ÉTERNELLE…


Fernand Bigalle se levait vers sept heures, consacrait dix minutes à la gymnastique suédoise, prenait une douche, revêtait une robe de laine blanche à capuchon, semblable à celle que mettait Balzac pour travailler et s’installait en face de son courrier avec le soupir d’un débardeur devant une énorme cargaison à décharger. Soupir tout de principe d’ailleurs, car il ne répondait jamais aux lettres. Il les lisait avant de se mettre à écrire, car les flatteries monstrueuses et les attaques véhémentes, dont il faisait ainsi sa pâture quotidienne, lui donnaient des forces et tenaient son esprit en éveil. Cette fois, il alla droit à une enveloppe où il crut reconnaître sa propre écriture…

C’était une lettre de Mme Chevêtrier. Il la lut, le cœur battant.

« Mon cher, mon vieil ami, écrivait Mme Chevêtrier, vous m’avez dit l’autre soir : « Que ne donnerais*je pas pour revivre une soirée de janvier 1882 ? » Nous avons à peu près revécu cette soirée-là. Il ne faut pas recommencer. Vous