Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
LES DEUX TESTAMENTS

faire une visite dans le courant de l’été, c’est-à-dire si M. Prévost trouve moyen de prendre son congé

— Comme ils seront heureux, eux !

— Le croyez-vous vraiment ?

— Qui pourrait penser autrement ? Ne jouiront-ils pas de votre présence ?

Marie Louise ne répondit pas, mais elle se creusait la tête pour découvrir un moyen d’inviter Joe à faire le voyage projeté avec les époux Prévost, sans avoir l’air trop audacieuse.

Cependant une pensée l’arrêta. Serait-ce convenable pour elle de faire cette démarche ? et puis que diraient ses parents ? Si encore elle était sûre que Joe l’aimait, mais comment pouvait-elle le savoir au juste, puisqu’il ne lui avait jamais dit ? Peut-être s’était elle trompée dès le commencement de leur connaissance en supposant que ce jeune homme éprouvait pour elle un sentiment sérieux.

Peut être n’avait-il voulu que s’amuser un peu, en passant. Comment pouvait-elle savoir le contraire ?

Pendant qu’elle était absorbée par ces réflexions, Joe se livrait aussi à des réflexions du même genre.

— Oh, si je pouvais savoir qu’elle m’aime, pensait il. Cela me donnerait du courage de lui faire des aveux. Mais qui me dit que ce n’est pas une coquette, qui a trouvé bon de s’amuser à me charmer pendant son séjour ici ?

Qui me dit qu’elle n’a pas un fiancé là-bas, et que ce ne soit pas sur ses instances qu’elle se décide à retourner ?

Si elle était de ma condition encore, j’aurais plus de courage.

Mais comment savoir qu’elle n’accueillerait pas ma demande avec dédain ?

Avec un dédain mérité, car que suis-je pour oser lever mes yeux sur elle, moi pauvre garçon, sans famille, sans fortune, qui n’ai rien à lui offrir si ce n’est ma pauvreté, tandis qu’elle, belle, jeune et riche comme elle l’est, peut aspirer à un des meilleurs partis de sa place natale.

Cependant, Mde Prévost vint les rejoindre et s’empara de la conversation comme c’était son habitude.

Après avoir parlé quelque temps, elle s’écria tout à coup.

— Mais j’y pense, puisque tu pars après-demain, ma mignonne, tu devrais aller faire tes adieux chez les Bonneville ce soir, car tu n’auras certes pas le temps d’y aller demain.