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LES DEUX TESTAMENTS

marié, et une promenade au clair de la lune avec sa digne épouse à son bras ne lui avait pas semblé une chose bien divertissante.

Vingt ans avant, il aurait été aux anges à pareille occasion, pourtant. Mais le temps change tout.

Marie Louise était arrivée chez les Prévost depuis plusieurs jours déjà. Elle était venue seule, c’est-à-dire, sans son père, qui avait été retenu au dernier moment, par un accident peu grave, mais qui ne lui permettait pas d’entreprendre ce voyage. Il s’était donné une entorse qui menaçait de le garder à la maison pendant plusieurs semaines.

Marie Louise avait voulu attendre son père, mais il n’avait pas consenti à ce qu’elle retardât son voyage, d’autant plus qu’un de ses amis partait justement pour New-York avec sa femme, et offrait d’amener la jeune fille avec eux.

Elle s’était donc décidée de partir sans lui et c’est ainsi qu’elle se trouvait seule chez les Prévost.

Depuis son arrivée à New York, elle avait senti son ennui se dissiper sans s’en rendre compte.

Il lui semblait qu’elle commençait une vie nouvelle, et que le passé n’était qu’un rêve.

Etrange coïncidence, Joe éprouvait le même sentiment. Il lui semblait, à lui aussi, que les trente années de son existence passée s’étaient écoulées comme un songe et qu’il ne faisait que se réveiller.

Mais si Marie Louise éprouvait ce sentiment nouveau sans songer à l’analyser, il n’en était pas de même du jeune homme. Il ne tarda pas à comprendre qu’il aimait la blonde jeune fille comme il n’avait jamais aimé personne déjà.

— C’est bien l’ange de mes rêves, pensait-il. Comme ses yeux bleus sont doux et purs ! comme ses beaux cheveux sont dorés ! Sa voix est douce comme de la musique, son sourire est charmant, naïf, et coquet en même temps.

Elle a l’air bonne avec cela. Elle doit être aussi bonne qu’elle est belle. Oh, si elle pouvait m’aimer, elle aussi. Et il se laissait aller doucement aux rêves dorés de la jeunesse.

Puis une pensée plus triste venait assombrir son âme.

— Elle est riche, si ce que dit Mme Prévost est vrai, trop riche pour moi.

Qu’est-ce que je suis, moi, auprès d’elle ; un pauvre commis qui n’a que son salaire de chaque semaine pour vivre.

Quand même elle consentirait, elle, car elle n’est pas fière, je le