Page:Duval-Thibault - Les deux testaments, 1888.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
LES DEUX TESTAMENTS

Emma surtout semblait joyeuse ; elle causait et riait gaiement avec les jeunes gens, qui se tenaient autour d’elle, à l’exception de Joe Allard, et elle chanta plusieurs chansons de sa jolie voix claire et souple, que la cultivation n’avait pas eu l’occasion de gâter, et se montra d’une cordialité parfaite envers la nouvelle arrivée.

Mais quand tout le monde se fut retiré, et qu’elle fut renfermée dans sa chambre, elle se jeta près de son lit et resta longtemps dans la même position, sans pleurer, sans verser une seule larme, mais avec la mort dans le cœur, car plusieurs fois pendant cette veillée elle avait vu celui qu’elle aimait regarder la cousine de Mde Prévost avec des yeux où se lisait une admiration sans bornes, et même plus que cela, un amour passionné.

Elle comprenait maintenant que Joe ne l’avait jamais aimée, qu’il n’avait éprouvé pour elle qu’une amitié platonique, et pendant que ces vérités se faisaient jour dans son esprit, elle réalisait plus qu’elle ne l’avait jamais fait auparavant qu’elle aimait Joe de toute son âme, et qu’elle ne pouvait jamais en aimer un autre que lui.

Pendant ce temps, Joe Allard et Marie Louise Bernier marchaient lentement vers la demeure de Mde Prévost. M. et Mde Prévost les suivaient à peu de distance ; cette dernière faisait comme d’habitude tous les frais de la conversation entre elle et son mari.

Joe et Marie Louise ne disaient rien, eux.

Vraiment, c’était un beau soir, un soir fait exprès pour des amoureux, à ce qu’il semblait.

La lune presque pleine paraissait pâle et douce dans le ciel pur. Une brise tendre s’élevait de temps en temps ; les arbres n’avaient pas encore de feuilles, et les fleurs n’étaient pas encore épanouies, mais on sentait que le printemps arrivait, et que son souffle tiède embaumait déjà la terre.

Sans savoir pourquoi, Joe et Marie Louise se sentaient heureux comme ils ne l’avaient jamais senti auparavant.

Ils ne se parlaient pas, et pourtant, il leur semblait qu’ils se comprenaient.

La petite main de la jeune fille se posait avec confiance sur le bras du jeune homme qui sentait son cœur palpiter à ce doux contact.

C’était tout, et c’était assez.

Enfin, ils arrivèrent à la maison ; les Prévost les rejoignirent en quelques instants. Le mari baillait d’un air endormi.

Il y avait bien 20 ans qu’il était