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LES DEUX TESTAMENTS

Les trois allèrent se placer quelques bancs plus haut que celui d’Emma, Mde Prévost, d’abord puis la jeune inconnue, et Joe.

Emma était très pieuse, mais elle fut pourtant bien distraite pendant la durée de cette messe.

La présence de l’étrangère l’inquiétait, d’autant plus qu’elle avait eu le temps de constater sa rare beauté, quand elle avait passé dans l’allée.

Elle ne doutait pas que ce ne fut là la petite cousine attendue de Mde Prévost, ce qui contribuait à l’inquiéter davantage, car demeurant dans la même maison, Joe Allard et elle ne pouvaient manquer de se voir à tous moments.

Pour la première fois, la jalousie cruelle mordit au cœur de la jeune fille, et pour la première fois l’idée que Joe devait l’aimer lui sembla moins vraisemblable.

Après la messe, les fidèles restèrent quelques temps en groupes sur le trottoir. On se saluait, on causait, on riait ; toutes ces bonnes gens avaient l’air heureux de se trouver ensemble. Cela leur rappelait le Canada.

Emma était restée dans son banc plus longtemps que les autres, car elle se sentait attristée et troublée.

Quand elle descendit enfin, elle trouva Mde Prévost qui l’attendait avec sa jeune cousine qu’elle tenait à lui présenter le plus tôt possible.
Joe Allard causait plus loin avec un groupe d’hommes.

Toute bouleversée qu’elle se sentait, Emma eut assez de fermeté pour ne rien laisser paraître de son émotion, et elle répondit affablement aux quelques paroles que lui adressa Marie Louise Bernier, qui se sentait attirée vers cette jeune fille aux doux yeux bruns.

Cependant, Joe rejoignit les dames, et apercevant Emma, il la salua cordialement, comme à l’ordinaire, mais quand Mde Prévost déclara qu’il était temps de songer à retourner à la maison, il offrit son bras à Marie Louise et laissa Emma marcher avec Mde Prévost, qui conversa tout le long du chemin avec sa volubilité accoutumée sans s’apercevoir que sa jeune compagne ne l’écoutait pas.

Ils passèrent sur la 3e Avenue jusqu’à la 81e rue, où Emma prit congé de Mde Prévost, et rentra chez elle triste et pensive.

Ce soir là, les Prévost, leur jeune cousine et Joe vinrent veiller chez les Bonneville, après les vêpres, ainsi que plusieurs jeunes gens, amis de Georges Bonneville.

On joua aux cartes, on chanta, on causa, et la veillée fut très gaie.