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LES DEUX TESTAMENTS

fut encore une catastrophe qui m’en chassa.

Un beau jour, l’écluse de la petite rivière se brisa dans le village voisin et une inondation terrible en résulta.

Maison, arbres, hommes et bétails, furent emportés par le courant terrible.

Je n’étais pas à la manufacture ce jour là, car une indisposition m’avait retenu à la maison, où j’étais seul avec la grand’mère et deux enfants qui étaient encore couchés au second étage, car il était encore de bonne heure.

Je venais justement de me lever moi-même quand nous entendîmes un bruit terrible dont nous ne pouvions nous rendre compte.

Au même instant l’eau se mit à entrer dans la maison avec une violence terrible.

La maison était bâtie sur le penchant d’une colline au bas duquel passait la petite rivière. Les fenêtres et la porte du second étage s’ouvraient en arrière, sur une plate-forme qui était de plein pied avec la côte. C’était là qu’étaient les deux enfants.

La grand’mère et moi, nous montâmes en toute hâte l’escalier qui conduisait à cet étage.

L’eau montait avec nous.

La grand’mère qui passait la première saisit les deux enfants dans leur lit et les poussa devant elle. Nous n’eûmes que le temps de sortir sur la plate-forme et de monter la côte.

Un instant après, l’eau emportait la maison.

Les pertes de vies et de propriétés furent terribles, et les affaires furent suspendues pour longtemps dans le village.

Je quittai donc Haydenville et je vins à New York où je suis demeuré depuis. J’avais alors 22 ans.

Après avoir essuyé bien des désappointements et bien des déboires, je fus assez heureux pour trouver une bonne place de commis dans un des grands magasins du Broadway. Ma connaissance des deux langues me servit à merveille, car il venait beaucoup de Français ou de Canadiens qui ne parlaient pas l’anglais.

Ces gens me demandaient toujours et cela fut cause que mon patron qui me trouvait très utile augmenta mes gages considérablement et m’a toujours gardé à son emploi depuis ce temps.

Voilà mes aventures. Après tout je n’ai pas été trop malheureux pour un orphelin.