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LES DEUX TESTAMENTS

— Avec un peu de calcul, je puis vous dire à peu près, toujours. J’avais à peu près huit ans, quand il vint, je crois. J’en ai vingt neuf à présent. Il y a donc vingt et un an de cela et nous sommes en ’82. C’était en ’61 comme vous voyez.

— C’est bien cela, dit Mde Bonneville, toute émue. Ce bon vieillard était mon père. Hélas ! vous ne l’auriez pas trouvé quand même vous seriez parvenu à New York, car le pauvre vieux mourut subitement en arrivant…

Elle s’arrêta un instant, puis reprit, en essuyant les larmes qui s’échappaient de ses yeux.

— Mon pauvre père était allé au Canada pour acheter une propriété, où il voulait aller passer le reste de ses jours avec ma bonne mère.

Il devait venir la chercher aussitôt que tout serait prêt pour la recevoir, mais pendant qu’il était encore à Montréal, ma mère tomba gravement malade et mourut au bout de quelques jours.

Quand nous vîmes qu’il n’y avait plus d’espoir de la sauver nous envoyâmes une dépêche télégraphique à papa.

Il arriva le lendemain, mais quel changement s’était fait en lui !

Il rentra tout pâle, les yeux égarés, et bien que nous étions tous là, mes frères et mes sœurs, ils ne dit pas un mot à personne, mais pénétra tout droit dans la chambre où était la pauvre défunte.

Il s’agenouilla près du lit et resta là immobile.

Enfin mon frère aîné, que vous avez déjà vu ici, s’approcha de lui et lui parla.

Hélas ! le pauvre père était mort ! Les docteurs déclarèrent qu’il était mort d’une maladie de cœur.

Pauvre père ! lui qui voulait tant aller mourir au Canada.

Mais nous l’avons fait enterrer là bas, toujours. Lui et maman furent transportés là, au cimetière de la Côte des Neiges.

Nous vendîmes la propriété qu’il avait acheté à Montréal, car ce double malheur nous avait ôté l’idée de retourner là bas ; nous étions trop découragés.

Quelques instants de silence succédèrent aux dernières paroles de Mde Bonneville.

Enfin, s’étant essuyé encore les yeux, cette dernière dit.

— Je vous ai interrompu dans votre histoire, M. Allard. Continuez donc, je vous en prie. Puis elle ajouta avec un soupir. Il me semble que je ne pourrai pas m’empêcher de vous considérer comme un parent après ce temps ci.

— Vos paroles me font du bien,