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LES DEUX TESTAMENTS

sans être vu et je me rendis ainsi à Montréal.

Arrivé là, j’errai dans les rues sans trop savoir où j’allais, quand je me trouvai, enfin, au pied de la Montagne.

Alors je pensai au cimetière où ma grand’mère m’avait mené quelque fois, et je me dirigeai de ce côté pour essayer de découvrir sa tombe.

Il me semblait que cela serait une consolation pour moi.

Soit hasard, soit Providence, je découvris bientôt sa tombe et celles de ma mère et de ma tante. Je m’y agenouillai et j’y priai longtemps, tout en versant des larmes abondantes.

Enfin, soulagé par les larmes, les premières que j’eusse versées depuis longtemps, je m’assied sur l’herbe et je me mis à réfléchir sur ce que je devais faire.

Je ne voulais pas rester à Montréal, car je craignais que mon oncle ne me retrouvât et me renvoyât à l’école.

Je résolus donc de m’éloigner. Mais où aller ? Sans parents, sans amis, que pouvais-je faire, dans ce monde ?

Tout à coup, je songeai à un vieillard qui était venu voir ma grand’mère plusieurs fois et qui m’avait semblé bon et juste.

Je me rappelai qu’il avait conté à memère qu’il demeurait à New-York avec sa femme et je me dis que si je pouvais me rendre à cette ville, dont j’avais beaucoup entendu parler à l’école, M. Lecompte, c’était son nom, m’aiderait à trouver de l’ouvrage, car je comptais bien essayer de me maintenir moi-même.

Ici, Mde Bonneville qui écoutait ce récit avec un intérêt toujours croissant, demanda :

— Comment était-il ce M. Lecompte ?

— C’était un grand vieillard à l’air fort et robuste, et qui se tenait droit comme un jeune homme, ses cheveux et sa grosse moustache étaient presque blancs.

Il avait d’assez beaux traits, bien que son nez fut un peu long et recourbé.

Ce sont ses yeux que je me rappelle le mieux, des beaux yeux bruns, tour à tour gais, et doux, des yeux qui parlaient.

Tiens, à présent que j’y pense, il avait des yeux pareils à ceux de Mlle Emma.

Aussi, la première fois que j’ai vu la demoiselle, je me suis dit j’ai pourtant vu ces yeux là déjà. Je vois ce que c’était, maintenant.

— Pouvez-vous me dire, en quelle année il avait fait ce voyage au Canada, M. Allard ?