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LES DEUX TESTAMENTS

que je voulais, c’était d’être laissé seul avec mon désespoir, mais les enfants ne comprenaient pas cela.

Les frères dont je repoussais obstinément les consolations ne m’aimaient pas, non plus. À présent, je ne blâme, ni les frères, ni les élèves, car véritablement jamais enfant plus maussade que moi avait dû entrer dans cette école.

Il y avait deux mois que j’étais à l’école, quand ma pauvre grand’mère, la seule créature qui m’aimait et que j’aimais sur la terre, mourut.

Ce fut mon oncle qui vint m’annoncer la triste nouvelle.

En apprenant cette nouvelle fatale, je perdis connaissance, et pendant quelque temps, on craignit pour ma raison.

Mais je me rétablis enfin, seulement j’étais plus sombre et plus farouche que jamais.

Mon oncle étant venu me voir, un jour, je me montrai, comme toujours, hostile à ses avances, ce qui parut lui faire de la peine. C’est du moins ce que me dit le frère, quand mon oncle fut parti.

— Tu es un ingrat, me dit-il sévèrement.

Ne sais tu pas que tu dépends de lui complètement. C’est lui qui paye ta pension-ici, qui t’habille, qui achète tes livres. Que deviendras-tu s’il te prenait en haine ?

Je ne répondis rien, mais je restai affaissé.

Dans mon esprit enfantin, il m’avait toujours semblé, que c’était ma grand’mère qui avait l’argent et qui payait toutes les dépenses.

Depuis sa mort, j’avais une vague impression qu’elle avait laissé de l’argent à mon oncle pour moi.

En apprenant que je m’étais trompé sur ce point, il se fit en moi une révolution.

Je résolus de ne pas rester plus longtemps à charge à cet homme que je détestais de plus en plus, et à qui je n’avais jamais pardonné de m’avoir séparé de ma pauvre grand’mère.

Je résolus donc de m’enfuir de l’école pour aller vivre ailleurs, d’une manière ou d’une autre.

J’avais l’âge de dix ans, à cette époque.

Je parvins à m’échapper, un jour, pendant la recréation et je me dirigeai vers la gare qui était située près d’une rivière et j’y laissai mon mouchoir afin qu’on crut que je m’étais noyé. L’idée que les frères seraient peinés d’apprendre ma mort ne me vint pas à l’esprit. Je ne pensais qu’à moi-même, dans ce temps-là.

Le train de Montréal étant arrivé et arrêté, je parvins à me glisser dans le compartiment des bagages