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LES DEUX TESTAMENTS

place les hauts Flats qui se trouvent dans la Quatre-vingt-quatrième rue près de la Quatrième avenue.

C’était un spectacle étrange, mais navrant.

Assise sur une grosse roche, près de son ancienne demeure, la vieille pleurait et se lamentait avec une sorte de psalmodie qui faisait penser aux incantations de la Banshee, espèce de revenant ou sorcière d’Irlande, qui vaut certainement, pour la terreur qu’elle inspire aux habitants du pays, les loups-garous de France et du Canada.

Tous les jours, elle revenait s’asseoir à la même place, proférant les mêmes plaintes, jusqu’à ce que les dernières tracés de sa masure eussent disparu pour faire place aux fondations plus ou moins massives du nouvel édifice.

Alors, seulement, elle cessa son pèlerinage quotidien.

Nous avons toujours aimé à croire qu’elle avait trouvé une autre masure ressemblant à la première pour y transporter ses pénates.

Mais les shanties’' sont devenus assez rares, depuis ce temps.

En 1879, après la construction du chemin de fer aérien de la Troisième avenue, un changement rapide se fit dans Yorkville.

Une grande partie de la population newyorkaise qui commençait à se trouver à l’étroit par suite de son augmentation continuelle, émigra vers le haut de la ville, et surtout à Yorkville.

Les sociétés de construction entrèrent alors en scène.

On aplanit les coteaux verts, on fit sauter les rochers pittoresques où la chèvre légère aimait à bondir, on remplit les bas-fonds, les uns avec les cendres et les balayures dès rue, les autres avec la terre malsaine qu’on tirait en déblayant les profondeurs du tunnel de la Quatrième avenue, ce qui pourrait expliquer pourquoi la fièvre intermittente règne en maître, à présent dans tant de localités qui paraissent saines pourtant.

Pendant un temps on ne vit de tous côtés que des bâtiments en voie de construction et Yorkville perdit bientôt son aspect verdoyant et pittoresque.

On ne respecta pas même les belles vieilles résidences, entourées de terrains ombragée, qui embellissaient les rives de la East River. De tous côtés s’élevèrent bientôt, avec un triomphe brutal, les banals flats, immenses maisons, vulgairement carrées, qui font penser à des prisons et qui le sont en effet, d’une manière, puisque les appartements longs et étroits dont ils se