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LES DEUX TESTAMENTS

— C’est sur toi que je compte le plus pour amuser et distraire ma petite cousine. Tu seras bonne pour elle, n’est-ce pas, ma belle, et tu la mèneras promener partout ?

La compagnie d’une jeune fille comme toi lui sera sans doute plus agréable que celle d’une vieille femme comme moi, d’autant plus qu’elle ne me connaît pas plus qu’une autre, car nous ne nous sommes jamais vues.

Avec sa perspicacité féminine, Emma devina tout de suite, ce dont il s’agissait et fit la promesse qu’on lui demandait avec bonne grâce, car elle était aimable et complaisante de nature, et de plus, elle aimait sincèrement Mde Prévost.

— Comment avez vous dit qu’elle s’appelait votre jeune cousine ? demanda-t-elle innocemment.

— Marie Louise Bernier, mais c’est bien tout ce que je sais sur son compte, excepté qu’elle est la fille de ma cousine germaine, Maria Renaud, et qu’elle a dix huit ans faits.

Si elle ressemble à sa mère, elle doit être jolie, car sa mère était une vraie jolie fille avant son mariage. À présent, je ne sais pas, car je ne l’ai jamais revue depuis ce temps-là-.

Pauvre enfant, elle avait eu bien des peines avant de se décider à prendre Edmond Bernier qu’elle n’aimait pas du tout d’abord.

Celui qu’elle aimait, c’était un nommé LeClerc… Xavier LeClerc, je crois. Ça c’était un beau garçon et un bon garçon ; encore dans le temps qu’il lui faisait la cour.

Mais il était pauvre et le bonhomme Renaud n’a jamais voulu consentir à ce que Maria l’épousât.

LeClerc, qui aimait Maria comme un fou, se jeta à l’ivrognerie, et devint un des garçons les plus dissipés de Montréal. Au bout de cinq ou six ans, il mourut à l’hôpital, du delirium trémens, à ce qu’on m’a dit.

C’était après le mariage de Maria, toujours. J’étais déjà partie de Montréal dans ce temps là, mais j’ai appris tous ces détails par un de mes cousins qui connaissait bien le jeune homme. Je ne sais pas si Maria a jamais appris la mort de son ancien amoureux, elle. Je crois que cela lui aurait fait de la peine, car après tout, c’était sa faute. Elle aurait dû être plus fidèle que ça.

Mais je bavarde encore ici et je ne serai jamais rendue à la maison à temps pour préparer le souper de mon « vieux. »

Bonsoir ! donc. Venez-me voir ! et elle partit à la hâte.