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LES DEUX TESTAMENTS

Eh bien ! voilà justement ce qui fait que c’est la médisance.

Si ce n’était pas vrai, ce serait de la calomnie, voilà tout.

Mais, dans le fond, la médisance fait plus de mal que la calomnie, car la calomnie est réparable, mais la médisance ne l’est pas.

De la médisance à la calomnie, il n’y a qu’un pas, et il est très rare que les médisants ne deviennent pas des calomniateurs.

Lorsqu’on a pris le goût et l’habitude de parler en mal du prochain, on est porté à inventer, lorsque l’on n’a rien de véritable à dire.

Une chose étrange : les médisants ne veulent jamais admettre qu’ils le sont. Ils trouvent toujours de bons motifs pour justifier leur manque de charité.

C’est ainsi qu’était Edmond Bernier et il aurait certainement qualifié de calomniateur celui qui l’aurait traité de médisant.

Pour dire la vérité, cet homme extraordinaire se trouvait bon, même excellent, malgré ses fourberies. Et ce qui contribuait le plus à le confirmer dans la bonne opinion qu’il avait de lui-même, c’était l’estime et l’admiration que professaient pour lui plusieurs prêtres avec qui il était en rapport.

Ces bons prêtres, n’étant pas doués de seconde vue, ne voyaient de lui que ses bonnes qualités qui étaient précisément celles que l’on remarque le plus chez les hommes.

Ils étaient édifiés par sa piété et sa conduite sage et régulière, et aussi, par les soins qu’il semblait prendre de sa vieille belle-mère.

Bernier leur avait toujours donné à entendre que la veuve n’était pas aussi riche qu’on le supposait, et que ses maisons étaient grevées d’hypothèques à l’époque où il avait commencé à prendre la direction de ses affaires.

De plus il insinuait que la bonne vieille commençait à tomber en enfance.

C’est à l’un d’eux qu’il s’adressa un jour pour servir un de ses desseins.

Le veuf n’aimait guère le jeune orphelin. Celui-ci, dont les grands yeux francs et hardis possédaient le pouvoir de troubler l’oncle, malgré son aplomb habituel, éprouvait une certaine aversion envers ce dernier, à qui il semblait que l’enfant lisait dans ses plus secrètes pensées.

Ce n’était pas le cas, à la vérité, mais il est certain que le neveu regardait souvent son oncle avec une défiance instinctive.

C’était cette expression, surtout, qui gênait le veuf.