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amour vainqueur
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Je suis en face, maintenant de la vie réelle !

Je suis en face, de ce monde, pensait-elle, dans les longues heures de méditations qu’elle employait à décider de quel côté elle devait diriger ses pas ; de ce monde, avec ses hypocrisies, ses pièges tendus, ses séductions, ses plaisirs, ses enivrements, ses honneurs, dont je ne connais pas à fonds, la nature ni les conséquences, mais qui comme de gros nuages à l’horizon menacent d’assombrir le firmament, jettent dans le ciel de mon âme jusqu’aujourd’hui serein et calme, des brouillards dont l’humidité glace tout mon être.

Ce monde, se disait-elle, on me l’a dépeint et sur les genoux de ma mère, et au couvent, on me l’a dépeint si effrayant que j’ai peur.

Une crainte instinctive me secoue toute entière ; et à l’heure où, toujours poussée par le rêve qui hantait mon esprit en mon bas-âge et qui n’a fait que s’accroître avec les années, de devenir quelque chose, de prendre une place honorable dans la société, à l’heure où tout me sourit, où tout m’invite à faire usage des armes, des connaissances et de l’instruction que je possède maintenant, ma crainte augmente, mon courage semble faiblir et me délaisser et tout mon être chancelle.

Seule, pensive, sur les rivages de cette mer, la vie du monde réel, pour la première fois, je redoute les tempêtes et les orages qu’il me faudra essuyer ; plus je scrute l’avenir, plus je porte ma vue, au loin, plus je me sens faible à lutter, à combattre ! Déjà, mon cœur a essuyé une déception ! Rogers qui était pourtant si bon, si généreux, m’a délaissée, sans même me donner de ses nouvelles ! Mais, se redressant, fière, noble et grande je lutterai ! je combattrai ! et je vaincrai ! dit-elle.

Je vaincrai, au prix des plus durs sacrifices !

Si j’avais, au moins, l’amour de mon ami Rogers, comme appui ! mais non, se disait-elle, je suis seule, délaissée ! je n’ai pas de parents assez riches pour m’aider dans l’exécution de mes desseins, je ne peux confier mes projets aux étrangers de peur qu’on ne les prenne pour des rêves, des châteaux d’Espagne, pourtant je réussirai quand même ! Je vaincrai !

Le temps passé loin de son ami Rogers lui avait paru