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amour vainqueur

ouvert à l’amour, rempli de désirs, d’espérances, souffrait à la pensée de tout quitter : Guigues et ses forêts ! ses parents et ses camarades, amour natal, amour filial, amour de cœur !

Rogers, qui l’accompagnait, était un beau garçon ; grand, à l’allure fière, d’un teint blond, à l’œil bleu, au sourire franc et bon il était très timide ; il avait fait quelques années de collège, mais il était encore bien jeune.

Rogers s’aperçut du combat qui se livrait dans le cœur de Ninie ; il l’aimait éperdûment ; il l’avait accompagnée quelques fois, à la sortie de la grand’ messe, à Guigues ; il lui avait, par plus d’un regard, fait comprendre, qu’elle était l’objet de son amour ; mais jamais, il n’avait encore osé lui dire tout ce qu’il avait ressenti pour elle ; il n’avait pas osé lui parler de ses projets, ni de ses rêves !

À la pensée seule de lui parler amour, à la rencontre du regard de Ninie, Rogers rougissait et trahissait tous les sentiments de son âme et obligeait Ninie à baisser la vue, qui, satisfaite et réjouie de se sentir aimée par Rogers, laissait exprimer sa joie, en lui jetant sur les mains les fleurs d’un bouquet qu’elle tenait, et qu’elle effeuillait en comptant le nombre des pétales des marguerites, et en refaisant, remodelant de ses doigts fins, le bouquet de roses dont elle en détachait des parties pour fixer à son corsage et à la boutonnière de l’habit de Rogers.

Mais, enfin, se dit-il, à lui-même, ne serais-je pas assez énergique, pour lui déclarer que toute mon affection va vers elle ; que je n’ai jamais aimé, que mes lèvres n’ont jamais effleuré les joues d’une jeune fille, par amour ?

Ne serais-je donc pas assez intelligent pour pouvoir lui dire de vive voix, que je l’aime ? Comme mon cœur se sentirait alors, soulagé ! Toutes ces réflexions que Rogers se faisait, augmentaient son trouble qu’il ne pouvait dissimuler ; Ninie, quoique bien jeune, elle aussi, était d’une nature un peu plus hardie, et elle chercha par de fines causeries à faire disparaître le malaise de Rogers ! elle, lui causait de tous ses projets d’études, et de quantités de choses bien indifférentes, lorsque tout-à-coup, profitant du bruit causé par les sifflets des manufactures de Hailey-