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amour vainqueur

de son esprit, le souvenir de Rogers, souvent, elle se surprenait à converser avec lui comme si elle n’eut pas ressenti un jour, de l’indifférence, de la haine même pour cet ami.

Sans doute, elle n’avait que des louanges à faire sur les qualités de M. Burrage ; elle l’estimait beaucoup ; d’ailleurs ses parents l’appréciaient aussi en parlaient avec avantages, et ils se sentaient heureux et honorés de voir leur fille fréquentée aussi publiquement, par un Monsieur aussi bien rangé, et qui avait l’estime de toute la famille de M. Timmins, et dont les amis étaient comptés dans la plus belle classe de la société de Haileybury ! Mais Ninie ne reconnaissait pas en lui, les qualités de Rogers ; celui-ci de sa parole chaude et animée, enthousiaste et idéaliste dans ses sentiments, la transportait jusque dans les atmosphères éthérées ou sur des rivages de mer lointaines, pour là, rêver avec elle et goûter le bonheur de faire des châteaux, de se préparer un avenir commun, beau et grand !

De quelques fines expressions, il savait la tirer soudainement de ses rêves lointains, pour la ramener en un clin d’œil, à une question des plus pratiques, ou par une saillie des plus spirituelles, la faire rire, d’une joie enfantine et légère ! M. Burrage était plus froid ; doué d’un jugement solide, il avait pris l’habitude de toujours hésiter un moment avant de répondre ; ce qui enlevait du charme à sa conversation.

À la vue des flots du lac Témiscamingue, à la pensée de sa délivrance de la mort, au souvenir de mille moments agréables goûtés en compagnie de Rogers, Ninie eut encore la tentation de l’aimer et de s’assurer, si réellement, il n’avait pas de raisons suffisantes pour expliquer son silence.

Mais, pourtant, se disait-elle à elle-même ! N’a-t-il pas été assez méchant ? Ne m’a-t-il pas assez fait souffrir ? Ne pouvait-il pas m’écrire ? D’ailleurs, pourquoi ces sorties, avec cette autre jeune fille ? Oh ! se disait-elle tout à coup, s’il fallait que cette demoiselle fut sa sœur ! S’il était malade ! Elle commença à avoir des doutes sur sa propre conduite ! Ne s’était-elle pas monté la tête trop vite ? N’aurait-il pas mieux valu pour elle, attendre son retour à Montréal, avant de recevoir d’autres amis ? Mais