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vertébré. Chaque espèce a sa santé, parce qu’elle a son type moyen qui lui est propre, et la santé des espèces les plus basses n’est pas moindre que celle des plus élevées. Le même principe s’applique à la sociologie quoiqu’il y soit souvent méconnu. Il faut renoncer à cette habitude, encore trop répandue, de juger une institution, une pratique, une maxime morale, comme si elles étaient bonnes ou mauvaises en elles-mêmes et par elles-mêmes, pour tous les types sociaux indistinctement.

Puisque le point de repère par rapport auquel on peut juger de l’état de santé ou de maladie varie avec les espèces, il peut varier aussi pour une seule et même espèce, si celle-ci vient à changer. C’est ainsi que, au point de vue purement biologique, ce qui est normal pour le sauvage ne l’est pas toujours pour le civilisé et réciproquement[1]. Il y a surtout un ordre de variations dont il importe de tenir compte parce qu’elles se produisent régulièrement dans toutes les espèces, ce sont celles qui tiennent à l’âge. La santé du vieillard n’est pas celle de l’adulte, de même que celle-ci n’est pas celle de l’enfant ; et il en est de même des sociétés[2]. Un fait social ne peut donc être dit normal pour une espèce sociale déterminée, que par rapport à une phase, également déterminée, de son développement ; par conséquent, pour

  1. Par exemple, le sauvage qui aurait le tube digestif réduit et le système nerveux développé du civilisé sain serait un malade par rapport à son milieu.
  2. Nous abrégeons cette partie de notre développement ; car nous ne pouvons que répéter ici à propos des faits sociaux en général ce que nous avons dit ailleurs à propos de la distinction des faits moraux en normaux et anormaux.(V. Division du travail social, p. 33-39.)