que nous y prenions garde. Il n’y a qu’une longue et spéciale pratique qui puisse prévenir de pareilles défaillances. Voilà ce que nous demandons au lecteur de bien vouloir ne pas perdre de vue. Qu’il ait toujours présent à l’esprit que les manières de penser auxquelles il est le plus fait sont plutôt contraires que favorables à l’étude scientifique des phénomènes sociaux et, par conséquent, qu’il se mette en garde contre ses premières impressions. S’il s’y abandonne sans résistance, il risque de nous juger sans nous avoir compris. Ainsi, il pourrait arriver qu’on nous accusât d’avoir voulu absoudre le crime, sous prétexte que nous en faisons un phénomène de sociologie normale. L’objection pourtant serait puérile. Car s’il est normal que, dans toute société, il y ait des crimes, il n’est pas moins normal qu’ils soient punis. L’institution d’un système répressif n’est pas un fait moins universel que l’existence d’une criminalité, ni moins indispensable à la santé collective. Pour qu’il n’y eût pas de crimes, il faudrait un nivellement des consciences individuelles qui, pour des raisons qu’on trouvera plus loin, n’est ni possible ni désirable ; mais pour qu’il n’y eût pas de répression, il faudrait une absence d’homogénéité morale qui est inconciliable avec l’existence d’une société. Seulement, partant de ce fait que le crime est détesté et détestable, le sens commun en conclut à tort qu’il ne saurait disparaître trop complètement. Avec son simplisme ordinaire, il ne conçoit pas qu’une chose qui répugne puisse avoir quelque raison d’être utile, et cependant il n’y a à cela aucune contradiction. N’y a-t-il pas dans l’organisme des fonctions répugnantes dont le jeu régulier est nécessaire à la santé individuelle ? Est-ce que nous ne détestons pas la souffrance ? et cependant un être qui ne la connaîtrait pas serait un monstre. Le caractère normal d’une chose et les sentiments d’éloignement qu’elle inspire peuvent même être solidaires. Si la douleur est un fait normal, c’est à condition de n’être pas aimée ; si le crime est normal, c’est à condition d’être haï[1]. Notre méthode n’a donc rien de révolutionnaire. Elle
- ↑ Mais, nous objecte-t-on, si la santé contient des éléments haïssables, comment la présenter, ainsi que nous faisons plus