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moins arbitraires. Mais si le détail, si les formes concrètes et particulières nous échappent, du moins nous nous représentons les aspects les plus généraux de l’existence collective en gros et par à peu près, et ce sont précisément ces représentations schématiques et sommaires qui constituent ces prénotions dont nous nous servons pour les usages courants de la vie. Nous ne pouvons donc songer à mettre en doute leur existence, puisque nous la percevons en même temps que la nôtre. Non seulement elles sont en nous, mais, comme elles sont un produit d’expériences répétées, elles tiennent de la répétition, et de l’habitude qui en résulte, une sorte d’ascendant et d’autorité. Nous les sentons nous résister quand nous cherchons à nous en affranchir. Or nous ne pouvons pas ne pas regarder comme réel ce qui s’oppose à nous. Tout contribue donc à nous y faire voir la vraie réalité sociale.


Et en effet, jusqu’à présent, la sociologie a plus ou moins exclusivement traité non de choses, mais de concepts. Comte, il est vrai, a proclamé que les phénomènes sociaux sont des faits naturels, soumis à des lois naturelles. Par là, il a implicitement reconnu leur caractère de choses ; car il n’y a que des choses dans la nature. Mais quand, sortant de ces généralités philosophiques, il tente d’appliquer son principe et d’en faire sortir la science qui y était contenue, ce sont des idées qu’il prend pour objets d’études. En effet, ce qui fait la matière principale de sa sociologie, c’est le progrès de l’humanité dans le temps. Il part de cette idée qu’il y a une évolution continue du genre humain qui consiste dans une réalisation toujours