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que je continue à vivre dans mon pays. Mais qu’importe ? Cet acquiescement ne lui enlève pas son caractère impératif. Une pression acceptée et subie de bonne grâce ne laisse pas d’être une pression. D’ailleurs, quelle peut être la portée d’une telle adhésion ? D’abord, elle est forcée, car, dans l’immense majorité des cas, il nous est matériellement et moralement impossible de dépouiller notre nationalité ; un tel changement passe même généralement pour une apostasie. Ensuite, elle ne peut concerner le passé qui n’a pu être consenti et qui, pourtant, détermine le présent : je n’ai pas voulu l’éducation que j’ai reçue ; or, c’est elle qui, plus que toute autre cause, me fixe au sol natal. Enfin, elle ne saurait avoir de valeur morale pour l’avenir, dans la mesure où il est inconnu. Je ne connais même pas tous les devoirs qui peuvent m’incomber un jour ou l’autre en ma qualité de citoyen ; comment pourrais-je y acquiescer par avance ? Or tout ce qui est obligatoire, nous l’avons démontré, a sa source en dehors de l’individu. Tant donc qu’on ne sort pas de l’histoire, le fait de l’association présente le même caractère que les autres et, par conséquent, s’explique de la même manière. D’autre part, comme toutes les sociétés sont nées d’autres sociétés sans solution de continuité, on peut être assuré que, dans tout le cours de l’évolution sociale, il n’y a pas eu un moment où les individus aient eu vraiment à délibérer pour savoir s’ils entreraient ou non dans la vie collective, et dans celle-ci plutôt que dans celle-là. Pour que la question pût se poser, il faudrait donc remonter jusqu’aux origines premières de toute société. Mais les solutions, toujours douteuses, que