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la peine doit être proportionnelle au délit ; cependant, pour l’école italienne, ce principe n’est qu’une invention de juristes, dénuée de toute solidité[1]. Même, pour ces criminologistes, c’est l’institution pénale tout entière, telle qu’elle a fonctionné jusqu’à présent chez tous les peuples connus, qui est un phénomène contre nature. Nous avons déjà vu que, pour M. Garofalo, la criminalité spéciale aux sociétés inférieures n’a rien de naturel. Pour les socialistes, c’est l’organisation capitaliste, malgré sa généralité, qui constitue une déviation de l’état normal, produite par la violence et l’artifice. Au contraire, pour M. Spencer, c’est notre centralisation administrative, c’est l’extension des pouvoirs gouvernementaux qui est le vice radical de nos sociétés, et cela quoique l’une et l’autre progressent de la manière la plus régulière et la plus universelle à mesure qu’on avance dans l’histoire. Nous ne croyons pas que jamais on se soit systématiquement astreint à décider du caractère normal ou anormal des faits sociaux d’après leur degré de généralité. C’est toujours à grand renfort de dialectique que ces questions sont tranchées.

Cependant, ce critère écarté, non seulement on s’expose à des confusions et à des erreurs partielles, comme celles que nous venons de rappeler, mais on rend la science même impossible. En effet, elle a pour objet immédiat l’étude du type normal ; or, si les faits les plus généraux peuvent être morbides, il peut se faire que le type normal n’ait jamais existé dans les faits. Dès lors, que sert de les étudier ? Ils ne peuvent que confirmer nos préjugés et enraciner nos

  1. V. Garofalo, Criminologie, p. 299.