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rites de deuil ; mais ces sortes de pratiques ne constituent pas un culte, bien qu’on leur ait parfois, et à tort, donné ce nom. Un culte, en effet, n’est pas simplement un ensemble de précautions rituelles que l’homme est tenu de prendre dans certaines circonstances ; c’est un système de rites, de fêtes, de cérémonies diverses qui présentent toutes ce caractère qu’elles reviennent périodiquement. Elles répondent au besoin qu’éprouve le fidèle de resserrer et de raffermir, à des intervalles de temps réguliers, le lien qui l’unit aux êtres sacrés dont il dépend. Voilà pourquoi on parle de rites nuptiaux, et non d’un culte nuptial ; de rites de la naissance, et non d’un culte du nouveau-né : c’est que les événements à l’occasion desquels ces rites ont lieu n’impliquent aucune périodicité. De même, il n’y a culte des ancêtres que quand des sacrifices sont faits de temps en temps sur les tombeaux, quand des libations y sont versées à des dates plus ou moins rapprochées, quand des fêtes sont régulièrement célébrées en l’honneur du mort. Mais l’Australien n’entretient avec ses morts aucun commerce de ce genre. Il doit, sans doute, ensevelir leurs restes suivant le rite, les pleurer pendant le temps prescrit de la manière prescrite, les venger s’il y a lieu[1]. Mais une fois qu’il s’est acquitté de ces soins pieux, une fois que les ossements sont desséchés, que le deuil est arrivé à son terme, tout est dit et les survivants n’ont plus de devoirs envers ceux de leurs parents qui ne sont plus. Il y a bien, il est vrai, une forme sous laquelle les morts continuent à garder quelque place dans la vie de leurs proches même après que le deuil est terminé. Il arrive, en effet, qu’on conserve leurs cheveux ou certains de leurs ossements[2], à cause des vertus

  1. Il y a même parfois, semble-t-il, des offrandes funéraires (v. Roth, Superstition, Magic a. Medicine, in N. Queensland Ethnog., Bull. n° 5, § 69, c., et Burial Customs, N. Qu. Ethn., Bull. n° 10, in Records of the Australian Museum, VI, n° 5, p. 395). Mais ces offrandes ne sont pas périodiques.
  2. V. Spencer et Gillen, Native Tribes of Central Australia, p. 538, 553, et Northern Tribes, p. 463, 543, 547.