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II

Reste la théorie de Tylor dont l’autorité est toujours grande. Ses hypothèses sur le rêve, sur la genèse des idées d’âmes et d’esprit sont encore classiques ; il importe donc d’en éprouver la valeur.

Tout d’abord, on doit reconnaître que les théoriciens de l’animisme ont rendu un important service à la science des religions et même à l’histoire générale des idées en soumettant la notion d’âme à l’analyse historique. Au lieu d’en faire, avec tant de philosophes, une donnée simple et immédiate de la conscience, ils y ont vu, beaucoup plus justement, un tout complexe, un produit de l’histoire et de la mythologie. Il n’est pas douteux, en effet, qu’elle ne soit chose essentiellement religieuse par sa nature, ses origines et ses fonctions. C’est de la religion que les philosophes l’ont reçue ; aussi ne peut-on comprendre la forme sous laquelle elle se présente chez les penseurs de l’antiquité, si l’on ne tient pas compte des éléments mythiques qui ont servi à la former.

Mais si Tylor a eu le mérite de poser le problème, la solution qu’il en donne ne laisse pas de soulever de graves difficultés.

Il y aurait, tout d’abord, des réserves à faire sur le principe même qui est la base de cette théorie. On admet comme une évidence que l’âme est entièrement distincte du corps, qu’elle en est le double, et qu’en lui ou hors de lui elle vit normalement d’une vie propre et autonome. Or, nous verrons[1] que cette conception n’est pas celle du primitif ; du moins, elle n’exprime qu’un aspect de l’idée qu’il se fait de l’âme. Pour lui, l’âme, tout en étant, sous certains rapports, indépendante de l’organisme qu’elle anime, se confond pourtant, en partie, avec ce dernier, au

  1. V. plus loin, liv. II, chap. VIII.