Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment qu’il est passé du culte des ancêtres au culte des choses.

Suivant Spencer qui, sur ce point, mais sur ce point seulement, s’écarte de Tylor, ce passage serait bien dû à une confusion, mais d’une autre sorte. Ce serait, en majeure partie tout au moins, le résultat d’innombrables amphibologies. Dans beaucoup de sociétés inférieures, c’est un usage très répandu de donner à chaque individu, soit au moment de sa naissance soit plus tard, le nom d’un animal, d’une plante, d’un astre, d’un objet naturel quelconque. Mais, par suite de l’extrême imprécision de son langage, il est très difficile au primitif de distinguer une métaphore de la réalité. Il aurait donc vite perdu de vue que ces dénominations n’étaient que des figures, et, les prenant à la lettre, il aurait fini par croire qu’un ancêtre appelé Tigre ou Lion était réellement un tigre ou un lion. Par suite, le culte dont cet ancêtre était jusque-là l’objet se serait reporté sur l’animal avec lequel il était désormais confondu ; et la même substitution s’opérant pour les plantes, pour les astres, pour tous les phénomènes naturels, la religion de la nature aurait pris la place de la vieille religion des morts. Sans doute, à côté de cette confusion fondamentale, Spencer en signale d’autres qui auraient, ici ou là, renforcé l’action de la première. Par exemple, les animaux qui fréquentent les environs des tombes ou les maisons des hommes auraient été pris pour des âmes réincarnées et on les aurait adorés à ce titre[1] ; ou bien la montagne dont la tradition faisait le lieu d’origine de la race aurait fini par être prise pour la souche même de cette race ; on aurait cru que les hommes en étaient les descendants parce que les ancêtres passaient pour en être venus, et on l’aurait, par suite, traitée elle-même en ancêtre[2]. Mais, de l’aveu de Spencer, ces causes

  1. Ibid., p. 447 et suiv.
  2. Ibid., p. 504.