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satisfaire aux besoins des défunts ; les premiers autels auraient été des tombeaux[1].


Mais parce que ces esprits étaient d’origine humaine, ils ne s’intéressaient qu’à la vie des hommes et n’étaient censés agir que sur les événements humains. Il reste à expliquer comment d’autres esprits furent imaginés pour rendre compte des autres phénomènes de l’univers et comment, par suite, à côté du culte des ancêtres, se constitua un culte de la nature.

Pour Tylor, cette extension de l’animisme serait due à la mentalité particulière du primitif qui, comme l’enfant, ne sait pas distinguer l’animé de l’inanimé. Parce que les premiers êtres dont l’enfant commence à se faire quelque idée sont des hommes, à savoir lui-même et ses proches, c’est sur le modèle de la nature humaine qu’il tend à se représenter toutes choses. Dans les jouets dont il se sert, dans les objets de toute sorte qui affectent ses sens, il voit des êtres vivants comme lui. Or le primitif pense comme un enfant. Par suite, il est, lui aussi, enclin à doter les choses, mêmes inanimées, d’une nature analogue à la sienne. Une fois donc que, pour les raisons exposées plus haut, il fut arrivé à cette idée que l’homme est un corps qu’anime un esprit, il devait nécessairement prêter aux corps bruts eux-mêmes une dualité du même genre et des âmes semblables à la sienne. Toutefois, la sphère d’action des unes et des autres ne pouvait être la même. Des âmes d’hommes n’ont d’influence directe que sur le monde des hommes : elles ont pour l’organisme humain une sorte de prédilection, alors même que la mort leur a rendu la liberté. Au contraire, les âmes des choses résident avant tout dans les choses et sont regardées comme les causes productrices de tout ce qui s’y passe. Les premières rendent compte de la santé ou de la maladie, de l’adresse ou de la maladresse

  1. Tyor, I, p. 326, 555.