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leur sont attribués, la question de savoir comment les hommes ont pu en avoir l’idée est assez simple : il suffit de rechercher quelles sont les forces qui, par leur exceptionnelle énergie, ont pu frapper assez vivement l’esprit humain pour inspirer des sentiments religieux. Mais si, comme nous avons essayé de l’établir, les choses sacrées diffèrent en nature des choses profanes, si elles sont d’une autre essence, le problème est autrement complexe. Car il faut se demander alors ce qui a pu déterminer l’homme à voir dans le monde deux mondes hétérogènes et incomparables, alors que rien dans l’expérience sensible ne semblait devoir lui suggérer l’idée d’une dualité aussi radicale.

IV

Cependant, cette définition n’est pas encore complète car elle convient également à deux ordres de faits qui, tout en étant parents l’un de l’autre, demandent pourtant à être distingués : c’est la magie et la religion.

La magie, elle aussi, est faite de croyances et de rites. Elle a, comme la religion, ses mythes et ses dogmes ; ils sont seulement plus rudimentaires, sans doute parce que, poursuivant des fins techniques et utilitaires, elle ne perd pas son temps en pures spéculations. Elle a également ses cérémonies, ses sacrifices, ses lustrations, ses prières, ses chants et ses danses. Les êtres qu’invoque le magicien, les forces qu’il met en œuvre ne sont pas seulement de même nature que les forces et les êtres auxquels s’adresse la religion ; très souvent, ce sont identiquement les mêmes. Ainsi, dès les sociétés les plus inférieures, les âmes des morts sont choses essentiellement sacrées et elles sont l’objet de rites religieux. Mais en même temps, elles ont joué dans la magie un rôle considérable. Aussi bien en Australie[1]

  1. V. Spencer et Gillen, Native Tribes of Central Australia, p. 534 et suiv., Northern Tribes of Central Australia, p. 463 ; Howitt, Native Tribes of S. E. Australia, p. 359-361.