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groupe homogène de choses sacrées ou même chaque chose sacrée de quelque importance constitue un centre d’organisation autour duquel gravite un groupe de croyances et de rites, un culte particulier ; et il n’est pas de religion si unitaire qu’elle puisse être, qui ne reconnaisse une pluralité de choses sacrées. Même le christianisme, au moins sous sa forme catholique, admet, outre la personnalité divine, d’ailleurs triple en même temps qu’une, la Vierge, les anges, les saints, les âmes des morts, etc. Aussi une religion ne se réduit-elle généralement pas à un culte unique, mais consiste en un système de cultes doués d’une certaine autonomie. Cette autonomie est, d’ailleurs, variable. Parfois, ils sont hiérarchisés et subordonnés à quelque culte prédominant dans lequel ils finissent même par s’absorber ; mais il arrive aussi qu’ils sont simplement juxtaposés et confédérés. La religion que nous allons étudier nous fournira justement un exemple de cette dernière organisation.

En même temps, on s’explique qu’il puisse exister des groupes de phénomènes religieux qui n’appartiennent à aucune religion constituée : c’est qu’ils ne sont pas ou ne sont plus intégrés dans un système religieux. Qu’un des cultes dont il vient d’être question parvienne à se maintenir pour des raisons spéciales alors que l’ensemble dont il faisait partie a disparu, et il ne survivra qu’à l’état désintégré. C’est ce qui est arrivé à tant de cultes agraires qui se sont survécu à eux-mêmes dans le folklore. Dans certains cas, ce n’est même pas un culte, mais une simple cérémonie, un rite particulier qui persiste sous cette forme[1].

Bien que cette définition ne soit que préliminaire, elle permet déjà d’entrevoir en quels termes doit se poser le problème qui domine nécessairement la science des religions. Quand on croit que les êtres sacrés ne se distinguent des autres que par l’intensité plus grande des pouvoirs qui

  1. C’est le cas de certains rites nuptiaux ou funéraires, par exemple.