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perde ses caractères spécifiques, sans qu’il devienne lui-même sacré en quelque mesure et à quelque degré. Les deux genres ne peuvent se rapprocher et garder en même temps leur nature propre.

Nous avons, cette fois, un premier critère des croyances religieuses. Sans doute, à l’intérieur de ces deux genres fondamentaux, il y a des espèces secondaires qui, elles aussi, sont plus ou moins incompatibles les unes avec les autres[1]. Mais ce qui est caractéristique du phénomène religieux, c’est qu’il suppose toujours une division bipartite de l’univers connu et connaissable en deux genres qui comprennent tout ce qui existe, mais qui s’excluent radicalement. Les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et isolent ; les choses profanes, celles auxquelles ces interdits s’appliquent et qui doivent rester à distance des premières. Les croyances religieuses sont des représentations qui expriment la nature des choses sacrées et les rapports qu’elles soutiennent soit les unes avec les autres, soit avec les choses profanes. Enfin, les rites sont des règles de conduite qui prescrivent comment l’homme doit se comporter avec les choses sacrées. Quand un certain nombre de choses sacrées soutiennent les unes avec les autres des rapports de coordination et de subordination, de manière à former un système d’une certaine unité, mais qui ne rentre lui-même dans aucun autre système du même genre, l’ensemble des croyances et des rites correspondants constitue une religion. On voit par cette définition qu’une religion ne tient pas nécessairement dans une seule et même idée, ne se ramène pas à un principe unique qui, tout en se diversifiant suivant les circonstances auxquelles il s’applique, serait, dans son fond, partout identique à lui-même : c’est un tout formé de parties distinctes et relativement individualisées. Chaque

  1. Nous montrerons nous-même plus loin comment, par exemple, certaines espèces de choses sacrées entre lesquelles il y a incompatibilité s’excluent comme le sacré exclut le profane (liv. II, chap. Ier, § II).