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les formes les plus élevées de la mentalité humaine : la cause paraît bien humble, eu égard à la valeur que nous prêtons à l’effet. Entre le monde des sens et des appétits d’une part, celui de la raison et de la morale de l’autre, la distance est si considérable que le second semble n’avoir pu se surajouter au premier que par un acte créateur. — Mais attribuer à la société ce rôle prépondérant dans la genèse de notre nature, ce n’est pas nier cette création ; car la société dispose précisément d’une puissance créatrice qu’aucun être observable ne peut égaler. Toute création, en effet, à moins d’être une opération mystique qui échappe à la science et à l’intelligence, est le produit d’une synthèse. Or, si les synthèses de représentations particulières qui se produisent au sein de chaque conscience individuelle sont déjà, par elles-mêmes, productrices de nouveautés, combien sont plus efficaces ces vastes synthèses de consciences complètes que les sociétés ! Une société, c’est le plus puissant faisceau de forces physiques et morales dont la nature nous offre le spectacle. Nulle part, on ne trouve une telle richesse de matériaux divers, portés à un tel degré de concentration. Il n’est donc pas surprenant qu’une vie plus haute s’en dégage, qui, réagissant sur les éléments dont elle résulte, les élève à une forme supérieure d’existence et les transforme.

Ainsi, la sociologie paraît appelée à ouvrir une voie nouvelle à la science de l’homme. Jusqu’ici, on était placé en face de cette alternative : ou bien expliquer les facultés supérieures et spécifiques de l’homme en les ramenant aux formes inférieures de l’être, la raison aux sens, l’esprit à la matière, ce qui revenait à nier leur spécificité ; ou bien les rattacher à quelque réalité supra-expérimentale que l’on postulait, mais dont aucune observation ne peut établir l’existence. Ce qui mettait l’esprit dans cet embarras, c’est que l’individu passait pour être finis naturaœ : il semblait qu’au-delà il n’y eût plus rien, du moins rien que la science pût atteindre. Mais du moment où l’on a reconnu qu’au-dessus