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particulièrement à l’homme, quand celui-ci n’est qu’un homme et n’a, par lui-même, rien de sacré. On se le représente, en effet, comme occupant, par rapport à elles, une situation inférieure et dépendante ; et cette représentation n’est certainement pas sans vérité. Seulement, il n’y a rien là qui soit vraiment caractéristique du sacré. Il ne suffit pas qu’une chose soit subordonnée à une autre pour que la seconde soit sacrée par rapport à la première. Les esclaves dépendent de leurs maîtres, les sujets de leur roi, les soldats de leurs chefs, les classes inférieures des classes dirigeantes, l’avare de son or, l’ambitieux du pouvoir et des mains qui le détiennent ; or, si l’on dit parfois d’un homme qu’il a la religion des êtres ou des choses auxquels il reconnaît ainsi une valeur éminente et une sorte de supériorité par rapport à lui, il est clair que, dans tous ces cas, le mot est pris dans un sens métaphorique et qu’il n’y a rien dans ces relations qui soit proprement religieux[1].

D’autre part, il ne faut pas perdre de vue qu’il y a des choses sacrées de tout degré et qu’il en est vis-à-vis desquelles l’homme se sent relativement à l’aise. Une amulette a un caractère sacré, et pourtant le respect qu’elle inspire n’a rien d’exceptionnel. Même en face de ses dieux, l’homme n’est pas toujours dans un état si marqué d’infériorité ; car il arrive très souvent qu’il exerce sur eux une véritable contrainte physique pour obtenir d’eux ce qu’il désire. On bat le fétiche dont on n’est pas content, sauf à se réconcilier avec lui s’il finit par se montrer plus docile aux vœux de son adorateur[2]. Pour avoir de la pluie, on jette des pierres dans la source ou dans le lac sacré où est censé résider le dieu de la pluie ; on croit, par ce moyen, l’obliger à sortir et à se montrer[3]. D’ailleurs, s’il est vrai

  1. Ce n’est pas à dire que ces relations ne puissent prendre un caractère religieux. Mais elles ne l’ont pas nécessairement.
  2. Schultze, Fetichismus, p. 129.
  3. On trouvera des exemples de ces usages dans Frazer, Golden Bough, 2e éd., I, p. 81 et suiv.