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s’explique le rôle prépondérant du culte dans toutes les religions, quelles qu’elles soient. C’est que la société ne peut faire sentir son influence que si elle est un acte, et elle n’est un acte que si les individus qui la composent sont assemblés et agissent en commun. C’est par l’action commune qu’elle prend conscience de soi et se pose ; elle est avant tout une coopération active. Même les idées et les sentiments collectifs ne sont possibles que grâce à des mouvements extérieurs qui les symbolisent, ainsi que nous l’avons établi[1]. C’est donc l’action qui domine la vie religieuse par cela seul que c’est la société qui en est la source.

À toutes les raisons qui ont été données pour justifier cette conception, une dernière peut être ajoutée qui se dégage de tout cet ouvrage. Nous avons établi chemin faisant que les catégories fondamentales de la pensée et, par conséquent la science, ont des origines religieuses. Nous avons vu qu’il en est de même de la magie et, par suite, des diverses techniques qui en sont dérivées. D’autre part, on sait depuis longtemps que, jusqu’à un moment relativement avancé de l’évolution, les règles de la morale et du droit ont été indistinctes des prescriptions rituelles. On peut donc dire, en résumé, que presque toutes les grandes institutions sociales sont nées de la religion[2]. Or, pour que les principaux aspects de la vie collective aient commencé par n’être que des aspects variés de la vie religieuse, il faut évidemment que la vie religieuse soit la forme éminente et

  1. V. plus haut, p. 329 et suiv.
  2. Une seule forme de l’activité sociale n’a pas encore été expressément rattachée à la religion : c’est l’activité économique. Toutefois les techniques qui dérivent de la magie se trouvent, par cela même, avoir des origines indirectement religieuses. De plus, la valeur économique est une sorte de pouvoir, d’efficacité, et nous savons les origines religieuses de l’idée de pouvoir. La richesse peut conférer du mana ; c’est donc qu’elle en a. Par là, on entrevoit que l’idée de valeur économique et celle de valeur religieuse ne doivent pas être sans rapports. Mais la question de savoir quelle est la nature de ces rapports n’a pas encore été étudiée.