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Cette ambiguïté, d’ailleurs, n’est pas particulière à la seule notion du sacré ; on trouve quelque chose de ce même caractère dans tous les rites qui viennent d’être étudiés. Certes, il était essentiel de les distinguer ; les confondre eût été méconnaître les multiples aspects de la vie religieuse. Mais d’un autre côté, si différents qu’ils puissent être, il n’y a pas entre eux de solution de continuité. Tout au contraire, ils chevauchent les uns sur les autres et peuvent même se remplacer mutuellement. Nous avons déjà montré que rites d’oblation et de communion, rites mimétiques, rites commémoratifs remplissent souvent les mêmes fonctions. On pourrait croire que le culte négatif, tout au moins, est plus nettement séparé du culte positif ; et cependant, nous avons vu que le premier peut produire des effets positifs, identiques à ceux que produit le second. Avec des jeûnes, des abstinences, des auto-mutilations, on obtient les mêmes résultats qu’avec des communions, des oblations, des commémorations. Inversement, les offrandes, les sacrifices impliquent des privations et des renoncements de toute sorte. Entre les rites ascétiques et les rites piaculaires, la continuité est encore plus apparente : les uns et les autres sont faits de souffrances, acceptées ou subies, et auxquelles est attribuée une efficacité analogue. Ainsi, les pratiques, tout comme les croyances, ne se rangent pas en des genres séparés. Si complexes que soient les manifestations extérieures de la vie religieuse, elle est, dans son fond, une et simple. Elle répond partout à un même besoin et dérive partout d’un même état d’esprit. Sous toutes ses formes, elle a pour objet d’élever l’homme au-dessus de lui-même et de lui faire vivre une vie supérieure à celle qu’il mènerait s’il obéissait uniquement à ses spontanéités individuelles : les croyances expriment cette vie en termes de représentations ; les rites l’organisent et en règlent le fonctionnement.