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ce qui est profane, tel est le trait distinctif de la pensée religieuse ; les croyances, les mythes, les gnogmes, les légendes sont ou des représentations ou des systèmes de représentations qui expriment la nature des choses sacrées, les vertus et les pouvoirs qui leur sont attribués, leur histoire, leurs rapports les unes avec les autres et avec les choses profanes. Mais, par choses sacrées, il ne faut pas entendre simplement ces êtres personnels que l’on appelle des dieux ou des esprits ; un rocher, un arbre, une source, un caillou, une pièce de bois, une maison en un mot une chose quelconque peut être sacrée. Un rite peut avoir ce caractère ; il n’existe même pas de rite qui ne l’ait à quelque degré. Il y a des mots, des paroles, des formules qui ne peuvent être prononcés que par la bouche de personnages consacrés ; il y a des gestes, des mouvements qui ne peuvent être exécutés par tout le monde. Si le sacrifice védique a eu une telle efficacité, si même, d’après la mythologie, il a été générateur de dieux loin de n’être qu’un moyen de gagner leur faveur, c’est qu’il possédait une vertu comparable à celle des êtres les plus sacrés. Le cercle des objets sacrés ne peut donc être déterminé une fois pour toutes ; l’étendue en est infiniment variable selon les religions. Voilà comment le bouddhisme est une religion : c’est que, à défaut de dieux, il admet l’existence de choses sacrées, à savoir des quatre vérités saintes et des pratiques qui en dérivent[1].

Mais nous nous sommes borné jusqu’ici à énumérer, à titre d’exemples, un certain nombre de choses sacrées : il nous faut maintenant indiquer par quels caractères généraux elles se distinguent des choses profanes.

On pourrait être tenté tout d’abord de les définir par la place qui leur est généralement assignée dans la hiérarchie des êtres. Elles sont volontiers considérées comme supérieures en dignité et en pouvoir aux choses profanes et

  1. Sans parler du sage, du saint qui pratiquent ces vérités et qui sont sacrées pour cette raison.