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sacrilège est exclu de la société des fidèles ; l’accès du culte lui est interdit. Ainsi toute vie religieuse gravite autour de deux pôles contraires entre lesquels il y a la même opposition qu’entre le pur et l’impur, le saint et le sacrilège, le divin et le diabolique.

Mais en même temps que ces deux aspects de la vie religieuse s’opposent l’un à l’autre, il existe entre eux une étroite parenté. D’abord, ils soutiennent tous deux le même rapport avec les êtres profanes : ceux-ci doivent s’abstenir de tout rapport avec les choses impures comme avec les choses très saintes. Les premières ne sont pas moins interdites que les secondes ; elles sont également retirées de la circulation[1]. C’est dire qu’elles aussi sont sacrées. Sans doute, les sentiments qu’inspirent les unes et les autres ne sont pas identiques : autre chose est le respect, autre chose le dégoût et l’horreur. Cependant, pour que les gestes soient les mêmes dans les deux cas, il faut que les sentiments exprimés ne diffèrent pas en nature. Et en effet, il y a de l’horreur dans le respect religieux, surtout quand il est très intense, et la crainte qu’inspirent les puissances malignes n’est généralement pas sans avoir quelque caractère référentiel. Les nuances par lesquelles se différencient ces deux attitudes sont même parfois si fugitives qu’il n’est pas toujours facile de dire dans quel état d’esprit se trouvent, au juste, les fidèles. Chez certains peuples sémitiques, la viande de porc était interdite ; mais on ne savait pas toujours avec précision si c’était à titre de chose impure ou bien de chose sainte et la même remarque peut s’appliquer à un très grand nombre d’interdictions alimentaires.

Il y a plus ; il arrive très souvent qu’une chose impure ou une puissance malfaisante devienne, sans changer de

  1. Robertson Smith, Rel. of Semites, p. 153, cf. p. 446, la note additionnelle intitulée Holiness, Uncleanness and Taboo.