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intervenues qu’ultérieurement. Une fois que le mécanisme rituel fut établi, elles ont servi à le rendre plus commodément représentable aux intelligences mais elles ne sont pas conditions de son existence. C’est pour d’autres raisons qu’il s’est institué ; c’est à une autre cause qu’il doit son efficacité.

Il agit par les forces collectives qu’il met en jeu. Un malheur paraît-il imminent qui menace la collectivité ? Celle-ci se réunit, comme à la suite d’un deuil, et c’est naturellement une impression d’inquiétude et d’angoisse qui domine le groupe assemblé. La mise en commun de ces sentiments a, comme toujours, pour effet de les intensifier. En s’affirmant, ils s’exaltent, s’enfièvrent, atteignent un degré de violence qui se traduit par la violence correspondante des gestes qui les expriment. Comme à la mort d’un proche, on pousse des cris terribles, on s’emporte, on sent le besoin de déchirer et de détruire ; c’est pour satisfaire ce besoin qu’on se frappe, qu’on se blesse, qu’on fait couler le sang. Mais quand des émotions ont cette vivacité, elles ont beau être douloureuses, elles n’ont rien de déprimant ; elles dénotent, au contraire, un état d’effervescence qui implique une mobilisation de toutes nos forces actives et même un afflux d’énergies extérieures. Peu importe que cette exaltation ait été provoquée par un événement triste, elle ne laisse pas d’être réelle et elle ne diffère pas spécifiquement de celle qu’on observe dans les fêtes joyeuses. Parfois même, elle se manifeste par des mouvements de même nature : c’est la même frénésie qui saisit les fidèles, c’est le même penchant aux débauches sexuelles, signe certain d’une grande surexcitation nerveuse. Déjà Robertson Smith avait remarqué cette curieuse influence des rites tristes dans les cultes sémitiques : « Dans les temps difficiles, dit-il, alors que les pensées des hommes étaient habituellement sombres, ils recouraient aux excitations physiques de la religion, comme, maintenant, ils se réfugient dans le vin. En règle générale, quand, chez les Sémites, le