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tendresse et de solidarité. Ainsi peut s’expliquer la manière très différente dont elle est conçue aux différents moments de son existence[1].

Non seulement les rites du deuil déterminent certains des caractères secondaires qui sont attribués à l’âme, mais ils ne sont peut-être pas étrangers à l’idée qu’elle survit au corps. Pour pouvoir comprendre les pratiques auxquelles il se soumet à la mort d’un parent, l’homme est obligé de croire qu’elles ne sont pas indifférentes au défunt. Les effusions de sang qui se pratiquent si largement pendant le deuil sont de véritables sacrifices offerts au mort[2]. C’est donc que, du mort, il survit quelque chose ; et comme ce n’est pas le corps, qui, manifestement, est immobile et se décompose, ce ne peut être que l’âme. Sans doute, il est impossible de dire avec exactitude quelle a été la part de ces considérations dans la genèse de l’idée de survie. Mais il est vraisemblable que l’influence du culte a été ici ce qu’elle est ailleurs. Les rites sont plus aisément explicables quand on s’imagine qu’ils s’adressent à des êtres personnels ; les hommes ont donc été induits à étendre l’influence des personnalités mythiques dans la vie religieuse. Pour pouvoir rendre compte du deuil, ils ont prolongé l’existence de l’âme au-delà du tombeau. C’est un nouvel exemple de la manière dont les rites réagissent sur les croyances.

  1. On se demandera peut-être pourquoi ces cérémonies répétées sont nécessaires pour produire l’apaisement qui suit le deuil. Mais c’est, d’abord, que les funérailles sont souvent très longues ; elles comprennent des opérations multiples qui s’échelonnent sur de longs mois. Elles prolongent et entretiennent ainsi le trouble moral déterminé par la mort (cf. Hertz, La représentation collective de la mort, in Année sociol., X, p. 48 et suiv.) D’une manière générale, la mort est un changement d’état grave qui a, dans le groupe, des répercussions étendues et durables. Il faut du temps pour en neutraliser les effets.
  2. Dans un cas que rapporte Grey d’après une observation de Bussel, le rite a tout l’aspect d’un sacrifice : le sang est répandu sur le corps même du mort (Grey, II, p. 330). Dans d’autres cas, il y a comme une offrande de la barbe : les gens en deuil coupent une partie de leur barbe qu’ils jettent sur le cadavre (ibid., p. 335).