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qu’elles en résultent, y mettent un terme. Elles neutralisent peu à peu les causes mêmes qui leur ont donné naissance. Ce qui est à l’origine du deuil, c’est l’impression d’affaiblissement que ressent le groupe quand il perd un de ses membres. Mais cette impression même a pour effet de rapprocher les individus les uns des autres, de les mettre plus étroitement en rapports, de les associer dans un même état d’âme, et, de tout cela, se dégage une sensation de réconfort qui compense l’affaiblissement initial. Puisqu’on pleure en commun, c’est qu’on tient toujours les uns aux autres et que la collectivité, en dépit du coup qui l’a frappée, n’est pas entamée. Sans doute, on ne met alors en commun que des émotions tristes ; mais communier dans la tristesse, c’est encore communier, et toute communion des consciences, sous quelques espèces qu’elle se fasse, rehausse la vitalité sociale. La violence exceptionnelle des manifestations par lesquelles s’exprime nécessairement et obligatoirement la douleur commune atteste même que la société est, à ce moment, plus vivante et plus agissante que jamais. En fait, quand le sentiment social est froissé douloureusement, il réagit avec plus de force qu’à l’ordinaire : on ne tient jamais autant à sa famille que quand elle vient d’être éprouvée. Ce surcroît d’énergie efface d’autant plus complètement les effets du désemparement qui s’était produit à l’origine, et ainsi se dissipe la sensation de froid que la mort apporte partout avec elle. Le groupe sent que les forces lui reviennent progressivement ; il se reprend à espérer et à vivre. On sort du deuil et on en sort grâce au deuil lui-même. Mais, puisque l’idée qu’on se fait de l’âme reflète l’état moral de la société, cette idée doit changer quand cet état change. Quand on était dans la période d’abattement et d’angoisse, on se représentait l’âme sous les traits d’un être malfaisant, tout occupé à persécuter les hommes. Maintenant qu’on se sent de nouveau en confiance et en sécurité, on doit admettre qu’elle a repris sa nature première et ses premiers sentiments de