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où il leur ressemble : lui aussi est fait de cérémonies collectives qui déterminent, chez ceux qui y participent, un état d’effervescence. Les sentiments surexcités sont différents ; mais la surexcitation est la même. Il est donc présumable que l’explication des rites joyeux est susceptible de s’appliquer aux rites tristes, à condition que les termes en soient transportés.

Quand un individu meurt, le groupe familial auquel il appartient se sent amoindri et, pour réagir contre cet amoindrissement, il s’assemble. Un commun malheur a les mêmes effets que l’approche d’un événement heureux : il avive les sentiments collectifs qui, par suite, inclinent les individus à se rechercher et à se rapprocher. Nous avons même vu ce besoin de concentration s’affirmer parfois avec une énergie particulière : on s’embrasse, on s’enlace, on se serre le plus possible les uns contre les autres. Mais l’état affectif dans lequel se trouve alors le groupe reflète les circonstances qu’il traverse. Non seulement les proches le plus directement atteints apportent à l’assemblée leur douleur personnelle, mais la société exerce sur ses membres une pression morale pour qu’ils mettent leurs sentiments en harmonie avec la situation. Permettre qu’ils restent indifférents au coup qui la frappe et la diminue, ce serait proclamer qu’elle ne tient pas dans leurs cœurs la place à laquelle elle a droit ; ce serait la nier elle-même. Une famille qui tolère qu’un des siens puisse mourir sans être pleuré témoigne par là qu’elle manque d’unité morale et de cohésion : elle abdique ; elle renonce à être. De son côté, l’individu, quand il est fermement attaché à la société dont il fait partie, se sent moralement tenu de participer à ses tristesses et à ses joies ; s’en désintéresser, ce serait rompre les liens qui l’unissent à la collectivité ; ce serait renoncer à la vouloir, et se contredire. Si le chrétien, pendant les fêtes commémoratives de la Passion, si le juif, au jour anniversaire de la chute de Jérusalem, jeûnent et se mortifient, ce n’est pas pour