Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/545

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

défini de succession, que l’une soit une transformation de l’autre. Il peut très bien se faire que les ressemblances signalées viennent de ce qu’elles sont toutes deux issues d’une même souche, c’est-à-dire d’une même cérémonie originelle dont elles seraient des modalités divergentes : nous verrons même que cette hypothèse est la plus vraisemblable. Mais, sans qu’il soit nécessaire de prendre un parti sur cette question, ce qui précède suffit à établir que ce sont des rites de même nature. Nous sommes donc fondés à les comparer et à nous servir de l’un pour nous aider à mieux comprendre l’autre.

Or, ce qu’ont de particulier les cérémonies Warramunga dont nous venons de parler, c’est qu’il n’y est pas fait un geste dont l’objet soit d’aider ou de provoquer directement l’espèce totémique à renaître[1]. Si l’on analyse les mouvements effectués comme les paroles prononcées, on n’y trouve généralement rien qui décèle aucune intention de ce genre. Tout se passe en représentations qui ne peuvent être destinées qu’à rendre présent aux esprits le passé mythique du clan. Mais la mythologie d’un groupe, c’est l’ensemble des croyances communes à ce groupe. Ce qu’expriment les traditions dont elle perpétue le souvenir, c’est la manière dont la société se représente l’homme et le monde ; c’est une morale et une cosmologie en même temps qu’une histoire. Le rite ne sert donc et ne peut servir qu’à entretenir la vitalité de ces croyances, à empêcher qu’elles ne s’effacent des mémoires, c’est-à-dire, en somme, à revivifier les éléments les plus essentiels de la conscience collective. Par lui, le groupe ranime périodiquement le sentiment qu’il a de lui-même et de son unité ; en même temps, les individus sont réaffermis dans leur nature d’êtres sociaux. Les glorieux souvenirs qu’on fait revivre sous leurs yeux et dont ils se sentent solidaires leur donnent une impression

  1. Nous n’entendons pas dire, d’ailleurs, que toutes les cérémonies des Warramunga soient de ce type. L’exemple du kakatoès blanc, dont il a été question plus haut, prouve qu’il y a des exceptions.