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cèdent suffisent à montrer quel est le caractère de ces cérémonies : ce sont des drames, mais d’un genre tout particulier : ils agissent, ou, du moins, on croit qu’ils agissent sur le cours de la nature. Quand la commémoration du Thalaualla est terminée, les Warramunga sont convaincus que les serpents noirs ne peuvent manquer de croître et de se multiplier. Ces drames sont donc des rites, et même des rites comparables de tout point, par la nature de leur efficacité, à ceux qui constituent l’Intichiuma des Arunta.

Aussi les uns et les autres sont-ils de nature à s’éclairer mutuellement. Il est même d’autant plus légitime de les rapprocher qu’il n’y a pas entre eux de solution de continuité. Non seulement le but poursuivi est le même dans les deux cas, mais ce qu’a de plus caractéristique le rituel warramunga se trouve déjà dans l’autre à l’état de germe. L’Intichiuma, tel que le pratiquent généralement les Arunta, contient, en effet, en soi une sorte de commémoration implicite. Les lieux où il est célébré sont, obligatoirement, ceux qu’ont illustrés les ancêtres. Les chemins par lesquels passent les fidèles au cours de leurs pieux pèlerinages sont ceux qu’ont parcourus les héros de l’Alcheringa ; les endroits où l’on s’arrête pour procéder aux rites sont ceux où les aïeux eux-mêmes ont séjourné, où ils se sont évanouis dans le sol, etc. Tout rappelle donc leur souvenir à l’esprit des assistants. D’ailleurs, aux rites manuels s’ajoutent très souvent des chants qui racontent les exploits ancestraux[1]. Que ces récits, au lieu d’être dits, soient mimés, que, sous cette forme nouvelle, ils se développent de manière à devenir la partie essentielle de la cérémonie, et l’on aura la cérémonie des Warramunga. Il y a plus ; par un côté, l’Intichiuma arunta est déjà une sorte de représentation. L’officiant, en effet, ne fait qu’un avec l’ancêtre dont il est descendu et qu’il réincarne[2]. Les gestes qu’il fait sont

  1. V. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 188 ; Strehlow, III, p. 5.
  2. C’est ce que reconnaît Strehlow lui-même : « L’ancêtre totémique et son descendant, c’est-à-dire celui qui le représente (der Darsteller), sont présentés dans ces chants sacrés comme ne faisant qu’un » (III, p. 6). Comme ce fait incontestable contredit la thèse d’après laquelle les âmes ancestrales ne se réincarneraient pas, Strehlow, il est vrai, ajoute en note que, « au cours de la cérémonie, il n’y a pas incarnation proprement dite de l’ancêtre dans la personne qui le représente ». Si Strehlow veut dire que l’incarnation n’a pas lieu à l’occasion de la cérémonie, rien n’est plus certain. Mais s’il entend qu’il n’y a pas l’incarnation du tout, nous ne comprenons pas comment l’officiant et l’ancêtre peuvent se confondre.