Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des facultés surhumaines qui leur sont souvent attribuées. D’un autre côté, suivant les savants les plus autorisés, cette sorte de théisme et la mythologie complexe qui l’accompagne d’ordinaire ne seraient qu’une forme dérivée et déviée du bouddhisme. Bouddha n’aurait d’abord été considéré que comme « le plus sage des hommes[1] ». « La conception d’un Bouddha qui ne serait pas un homme parvenu au plus haut degré de sainteté est », dit Burnouf, « hors du cercle des idées qui constituent le fond même des Sûtras simples[2] » ; et, ajoute ailleurs le même auteur, « son humanité est restée un fait si incontestablement reconnu de tous que les légendaires, auxquels coûtaient si peu les miracles, n’ont pas même eu la pensée d’en faire un dieu après sa mort[3] ». Aussi est-il permis de se demander s’il est jamais parvenu à se dépouiller complètement de ce caractère humain et si l’on est en droit de l’assimiler complètement à un dieu[4] ; en tout cas, c’est à un dieu d’une nature très particulière et dont le rôle ne ressemble nullement à celui des autres personnalités divines. Car un dieu, c’est avant tout un être vivant avec lequel l’homme doit compter et sur lequel il peut compter ; or le Bouddha est mort, il est entré dans le Nirvâna, il ne peut plus rien sur la marche des événements humains[5].

Enfin, et quoi qu’on pense de la divinité du Bouddha, il reste que c’est une conception tout à fait extérieure à ce

  1. Burnouf, p. 120.
  2. Burnouf, p. 107.
  3. Burnouf, p. 302.
  4. C’est ce que Kern exprime en ces termes : « À certains égards, il est un homme ; à certains égards, il n’est pas un homme ; à certains égards, il n’est ni l’un ni l’autre » (op. cit., I, p. 290).
  5. « L’idée que le chef divin de la Communauté n’est pas absent du milieu des siens, mais qu’il demeure réellement parmi eux comme leur maître et leur roi, de telle sorte que le culte n’est autre chose que l’expression de la perpétuité de cette vie commune, cette idée est tout à fait étrangère aux bouddhistes. Leur maître à eux est dans le Nirvana ; ses fidèles crieraient vers lui qu’il ne pourrait les entendre » (Oldenberg, Le Bouddha, p. 368).