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effet, il y a, en grande partie, un simple phénomène de transfert. L’idée de l’image est associée dans les esprits à celle du modèle ; par suite, les effets de l’action exercée sur la statuette se communiquent contagieusement à la personne dont elle reproduit les traits. L’image joue, par rapport à l’original, le rôle de la partie par rapport au tout : c’est un agent de transmission. Aussi croit-on pouvoir obtenir le même résultat en brûlant les cheveux de la personne qu’on veut atteindre : la seule différence qu’il y ait entre ces deux sortes d’opérations, c’est que, dans l’une, la communication se fait par la voie de la similarité, dans l’autre, par le moyen de la contiguïté. Il en est autrement des rites qui nous occupent. Ils ne supposent pas seulement le déplacement d’un état ou d’une qualité donnés qui passent d’un objet dans un autre, mais la création de quelque chose d’entièrement nouveau. Le seul fait de représenter l’animal donne naissance à cet animal et le crée ; en imitant le bruit du vent ou de l’eau qui tombe, on détermine les nuages à se former et à se résoudre en pluie, etc. Sans doute, la ressemblance joue un rôle dans les deux cas, mais très différent. Dans l’envoûtement, elle ne fait qu’imprimer une direction déterminée à l’action exercée ; elle oriente dans un certain sens une efficacité qui ne vient pas d’elle. Dans les rites dont il vient d’être question, elle est agissante par elle-même et directement efficace. Aussi, contrairement aux définitions usuelles, ce qui différencie vraiment les deux principes de la magie dite sympathique et les pratiques correspondantes, ce n’est pas que la contiguïté agit dans les unes et la ressemblance dans les autres ; mais c’est que, dans les premières, il y a simple communication contagieuse, dans les secondes, production et création[1].

  1. Nous ne disons rien de ce qu’on a appelé la loi de contrariété ; car, comme l’ont montré MM. Hubert et Mauss, le contraire ne produit son contraire que par l’intermédiaire du semblable (Théorie générale de la magie, p. 70).