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est plus proche de nous qu’on ne pourrait croire d’après son apparente grossièreté.

Par une intuition de génie, Smith, sans connaître ces faits, en avait eu le pressentiment. Par une série d’ingénieuses déductions — qu’il est inutile de reproduire ici, car elles n’ont plus qu’un intérêt historique[1] — il crut pouvoir établir que, à l’origine, l’animal immolé dans les sacrifices avait dû être considéré comme quasi divin et comme proche parent de ceux qui l’immolaient : or ces caractères sont précisément ceux par lesquels se définit l’espèce totémique. Smith en vint aussi à supposer que le totémisme avait dû connaître et pratiquer un rite tout à fait analogue à celui que nous venons d’étudier ; il penchait même à voir dans cette sorte de sacrifice la souche fondamentale de toute l’institution sacrificielle[2]. Le sacrifice n’aurait pas été institué à l’origine pour créer entre l’homme et ses dieux un lien de parenté artificielle, mais pour entretenir et renouveler la parenté naturelle qui les unissait primitivement. Ici, comme ailleurs, l’artifice ne serait né que pour imiter la nature. Mais cette hypothèse ne se présentait guère dans le livre de Smith que comme une vue de l’esprit, que les faits alors connus ne justifiaient que très imparfaitement. Les rares cas de sacrifice totémique qu’il cite à l’appui de sa thèse n’ont pas la signification qu’il leur donne ; les animaux qui y figurent ne sont pas des totems proprement dits[3]. Mais aujourd’hui, il est permis de dire que, sur un point tout au moins, la démonstration est faite : nous venons de voir, en effet, que, dans un nombre important de sociétés, le sacrifice totémique, tel que Smith le concevait, est ou a été pratiqué. Sans doute, nous n’avons nullement la preuve que cette pratique soit nécessairement inhérente au totémisme ni qu’elle soit le germe

  1. The Religion of the Semites, p. 275 et suiv.
  2. Ibid., p. 318-319.
  3. V. sur ce point Hubert et Mauss, Mélanges d’histoire des religions, préface, p. V et suiv.