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mange[1]. Il n’en reste pas moins que la communion alimentaire est un des éléments essentiels du sacrifice. Or, qu’on se reporte au rite par lequel se clôturent les cérémonies de l’Intichiuma ; lui aussi consiste en un acte de ce genre. L’animal totémique une fois tué, l’Alatunja et les anciens en mangent solennellement. Ils communient donc avec le principe sacré qui y réside et ils se l’assimilent. Toute la différence, c’est que, ici l’animal est sacré naturellement tandis que, d’ordinaire, il n’acquiert ce caractère qu’artificiellement au cours du sacrifice.

L’objet de cette communion est, d’ailleurs, manifeste. Tout membre d’un clan totémique porte en soi une sorte de substance mystique qui constitue la partie éminente de son être, car c’est d’elle qu’est faite son âme. C’est d’elle que lui viennent les pouvoirs qu’il s’attribue et son rôle social ; c’est par elle qu’il est une personne. Il a donc un intérêt vital à la conserver intacte, à la maintenir, autant que possible, dans un état de perpétuelle jeunesse. Malheureusement, toutes les forces, même les plus spirituelles, s’usent par l’effet du temps, si rien ne vient leur rendre l’énergie qu’elles perdent par le cours naturel des choses : il y a là une nécessité primordiale qui, comme nous le verrons, est la raison profonde du culte positif. Les gens d’un totem ne peuvent donc rester eux-mêmes que s’ils revivifient périodiquement le principe totémique qui est en eux ; et comme ce principe, ils se le représentent sous la forme d’un végétal ou d’un animal, c’est à l’espèce animale ou végétale correspondante qu’ils vont demander les forces supplémentaires dont ils ont besoin pour le renouveler et le rajeunir. Un homme du clan du Kangourou se croit, se sent être un kangourou ; c’est par cette qualité qu’il se définit ; c’est elle qui marque sa place dans la société. Pour la garder, il fait de temps en temps passer dans sa propre substance un peu de la chair de ce même animal. Quelques

  1. V. Hubert et Mauss, Essai sur la nature et la fonction du sacrifice, in Mélanges d’histoire des religions, p. 40 et suiv.