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vient finalement aboutir à deux interdictions fondamentales qui le résument et qui le dominent.

En premier lieu, la vie religieuse et la vie profane ne peuvent coexister dans un même espace. Pour que la première puisse se développer, il faut donc lui aménager un emplacement spécial d’où la seconde soit exclue. De là vient l’institution des temples et des sanctuaires : ce sont des portions d’espace qui sont affectées aux choses et aux êtres sacrés et qui leur servent d’habitats ; car ils ne peuvent s’établir sur le sol qu’à condition de se l’approprier totalement dans un rayon déterminé. Ces sortes d’arrangements sont tellement indispensables à toute vie religieuse que les religions même les plus inférieures ne peuvent s’en passer. L’ertnatulunga, cet endroit où sont déposés les churinga, est un véritable sanctuaire. Aussi est-il interdit aux non-initiés de s’en approcher. Il est même défendu de s’y livrer à une occupation profane, quelle qu’elle soit. Nous verrons dans la suite qu’il existe d’autres lieux saints où se célèbrent d’importantes cérémonies[1].

De même, la vie religieuse et la vie profane ne peuvent coexister dans les mêmes unités de temps. Il est donc nécessaire d’assigner à la première des jours ou des périodes déterminés d’où toutes les occupations profanes soient retirées. C’est ainsi qu’ont pris naissance les fêtes. Il n’est pas de religion ni, par conséquent, de société qui n’ait connu et pratiqué cette division du temps en deux parties tranchées qui alternent l’une avec l’autre suivant une loi variable avec les peuples et les civilisations ; c’est même très probablement, comme nous l’avons dit, la nécessité de cette alternance qui a amené les hommes à introduire, dans la continuité et l’homogénéité de la durée, des distinc-

  1. V. plus bas, même livre, chap. II.