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Wakelbura, l’échafaud sur lequel le mort est exposé doit être exclusivement construit avec des matériaux qui ressortissent à la phratrie du défunt ; c’est dire que tout contact est interdit entre le mort, qui est sacré, et les choses de l’autre phratrie, qui sont sacrées, elles aussi, mais à des titres différents. Ailleurs, les armes dont on se sert pour chasser un animal ne doivent pas être faites d’un bois qui soit classé dans le même groupe social que l’animal lui-même[1]. Mais les plus importantes de ces interdictions sont celles que nous étudierons dans un prochain chapitre : elles sont destinées à prévenir toute communication entre le sacré pur et le sacré impur, entre le sacré faste et le sacré néfaste. Tous ces interdits ont une commune caractéristique : ils viennent, non de ce qu’il y a des choses sacrées et d’autres qui ne le sont pas, mais de ce qu’entre les choses sacrées il existe des rapports de disconvenance et d’incompatibilité. Ils ne tiennent donc pas à ce qu’il y a d’essentiel dans l’idée du sacré. Aussi l’observance de ces prohibitions ne peut-elle donner lieu qu’à des rites isolés, particuliers et presque exceptionnels ; mais elle ne saurait constituer un culte proprement dit, car un culte est fait, avant tout, de rapports réguliers entre le profane et le sacré comme tel.

Mais il existe un autre système d’interdictions religieuses beaucoup plus étendu et plus important : c’est celui qui sépare, non des espèces différentes de choses sacrées, mais tout ce qui est sacré d’avec tout ce qui est profane. Il dérive donc immédiatement de la notion même du sacré qu’il se borne à exprimer et à réaliser. Aussi fournit-il la matière d’un véritable culte et même d’un culte qui est à la base de tous les autres ; car l’attitude qu’il prescrit est celle dont le fidèle ne doit jamais se départir dans ses rapports avec les êtres sacrés. C’est ce que nous appelons le culte négatif. On peut donc dire de ces interdits qu’ils sont les interdits

  1. V. plus haut, p. 212.