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que par impuissance à en trouver qui fussent plus rationnelles. En réalité, pourtant, ces explications qui nous surprennent paraissent au primitif les plus simples du monde. Il n’y voit pas une sorte d’ultima ratio à laquelle l’intelligence ne se résigne qu’en désespoir de cause, mais la manière la plus immédiate de se représenter et de comprendre ce qu’il observe autour de lui. Pour lui, il n’y a rien d’étrange à ce que l’on puisse, de la voix ou du geste, commander aux éléments, arrêter ou précipiter le cours des astres, susciter la pluie ou la suspendre, etc. Les rites qu’il emploie pour assurer la fertilité du sol ou la fécondité des espèces animales dont il se nourrit ne sont pas, à ses yeux, plus irrationnels que ne le sont, aux nôtres, les procédés techniques dont nos agronomes se servent pour le même objet. Les puissances qu’il met en jeu par ces divers moyens ne lui paraissent rien avoir de spécialement mystérieux. Ce sont des forces qui, sans doute, diffèrent de celles que le savant moderne conçoit et dont il nous apprend l’usage ; elles ont une autre manière de se comporter et ne se laissent pas discipliner par les mêmes procédés ; mais, pour celui qui y croit, elles ne sont pas plus inintelligibles que ne le sont la pesanteur ou l’électricité pour le physicien d’aujourd’hui. Nous verrons d’ailleurs, dans le cours même de cet ouvrage, que la notion de forces naturelles est très vraisemblablement dérivée de la notion de forces religieuses ; il ne saurait donc y avoir entre celles-ci et celles-là l’abîme qui sépare le rationnel de l’irrationnel. Même le fait que les forces religieuses sont pensées, souvent sous la forme d’entités spirituelles, de volontés conscientes, n’est nullement une preuve de leur irrationalité. La raison ne répugne pas a priori à admettre que les corps dits inanimés soient, comme les corps humains, mus par des intelligences, bien que la science contemporaine s’accommode difficilement de cette hypothèse. Quand Leibniz proposa de concevoir le monde extérieur comme une immense société d’esprits entre les-